La réforme du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve

présentation sommaire, par Dominique Mélès, juriste d’entreprise et formateur AFDCC.

La loi d’habilitation du 16 février 2015, a autorisé le Gouvernement à modifier par voie d’ordonnance le Code civil en matière du droit des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve. L’objectif annoncé était principalement de moderniser et d’actualiser des dispositions qui pour la plupart, remontaient à 1804 lors de la création du Code Napoléon.

C’est ainsi que vient d’être publiée l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui crée ou modifie plus de 300 articles du Code civil, soit plus 12 % dudit code !

 

Le but annoncé est de moderniser ces articles afin qu’ils répondent aux besoins et préoccupations du XXIe siècle, et puissent ainsi rivaliser avec les droits étrangers plus récents ; et, principalement :

  • d’« affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté contractuelle »,
  • de définir les principales catégories de contrats ; leurs négociation, offre, acceptation, conclusion ; les conditions de leur validité (y compris le devoir d’information et la notion de clause abusive) ; le principe du consensualisme et ses exceptions ; leur interprétation ; leur adaptation en cas de changement imprévisible de circonstances ; leur durée ; leur résolution (effacement rétroactif) ;
  • parallèlement, d’introduire un régime général des obligations (conditionnelles, à terme, cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires et à prestation indivisible) ;
  • de clarifier et de simplifier l’ensemble des règles applicables à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à l’autorité de la chose jugée.

 

L’application de ces dispositions s’appliquera aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016. Elles modifient tout ou partie des articles 1101 à 1386-18 du code civil, et leur numérotation. Elles sont par principe supplétives et peuvent donc ne pas être retenues par les parties. En revanche certains articles sont impératifs et d’ordre public et il ne peut donc y être dérogé (ex. nv. art. 1102, 1104, 1231-5).

 

Quelques points de terminologie :

La définition du contrat ne fait plus référence à une « convention », c’est-à-dire à un accord conclu afin de produire un effet de droit – acte juridique défini dans le nouvel article 1100-1 – ou de modifier une situation juridique, et de « donner, faire ou ne pas faire quelque chose » (ex-art. 1101 et 1126), mais elle se présente désormais comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations » (nv. art. 1101).

La « cause » n’est plus une des quatre conditions de la validité des contrats. Et l’exigence de la « bonne foi », devient la règle dès la négociation du contrat (art. 1112, 1198) outre, bien sûr, lors de sa formation et de son exécution.

Selon une terminologie initiée par la loi Quilliot n° 82-526 du 22 juin 1982 (jouir des locaux « paisiblement ») puis reprise par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, les qualités autrefois reconnues au « bon père de famille » sont désormais reconnues à « la personne raisonnable » (art. 1197, 1188, 1301-1).

Des événements ou circonstances « raisonnablement imprévisibles » peuvent entraîner la renégociation ou la résolution du contrat (art. 1195, 1218).

Certains mots ou expressions sont pareillement modernisés. Ainsi la demande en « répétition de l’indu » devient la « restitution de l’indu » (mais sa conséquence reste qualifié de « répétition »), et l’enrichissement « sans cause » devient l’enrichissement « injustifié » (art. 1301-5, 1303 s.).

 

Relevons également, pour les juristes formés avant cette réforme, que certains des articles les plus connus du Code civil voient leur numérotation bouleversée. Ainsi, notamment :

  • l’article 1382 sur le dommage, devient l’article 1240 ; et les articles 1383 à 1386 sont reportés in extenso aux articles 1241 à 1244 ;
  • les actions obliques et pauliennes des articles 1166 et 1167, ressortent désormais sous les articles 1341 à 1341-2 ;
  • les dispositions sur la force des contrats « qui tient lieu de loi à ceux qui les ont faits » sont scindées en deux, et migrent de l’article 1134 aux articles 1103 et 1193 ;
  • la règle « tout paiement suppose une dette », de l’article 1235, est reprise et complétée dans l’article 1302 ;
  • la « commune intention des parties » de l’ancien article 1156, est maintenue et précisée dans le nouvel article 1188 ;
  • « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties » de l’article 1165, se retrouve désormais sous l’article 1199 ;
  • la possibilité pour le juge de reporter ou échelonner, le paiement des sommes dues dans la limite de deux années migre de l’article 1244-1 à l’article 1343-5 ;
  • la nécessité imposée à « celui qui réclame l’exécution d’une obligation… de la prouver » et sa réciproque pour celui qui se prétend libéré, telle qu’énoncée par l’ancien article 1315, se retrouve dans le nouvel article 1353.

 

Enfin, citons dans la liste non exhaustive ci-dessous, quelques apports majeurs :

  • La phase de négociation du contrat préliminaire à sa conclusion, l’offre et ses effets ; la confidentialité (nv. art. 1112 s.) ; le pacte de préférence (nv. art. 1123).
  • Lors de la négociation d’un contrat, la réparation du préjudice pour faute, ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non encore conclu (nv. art. 1112, 1116).
  • L’abandon de la jurisprudence du 25 mai 1870 selon laquelle « qui ne dit mot, consent », anéantie par la nouvelle règle : « Le silence ne vaut pas acceptation » (nv. art. 1118 à 1120).
  • La forme du contrat, son interprétation, sa durée ; la confirmation ; les délais de réflexion et de rétractation ; les sanctions ; le contrat conclu par voie électronique (nv. art. 1125 s.).
  • La reconnaissance de l’abus de l’état de dépendance en tant que vice du consentement, et assimilé à une violence (nv. art. 1143).
  • La nullité du contrat si la contrepartie est illusoire ou dérisoire, et la caducité (nv. art. 1179 s.) ; et sa couverture par la confirmation (nv. art. 1181, 1182).
  • La notion de contrat cadre (nv. art. 1111, 1164).
  • Toute clause d’un contrat d’adhésion qui crée un déséquilibre significatif est réputée non écrite (nv. art. 1171).
  • L’abandon de la fameuse jurisprudence dite du Canal de Craponne qui imposait de maintenir, 300 ans plus tard, des dispositions financières d’un contrat d’entretien réputé perpétuel, moyennant une rétribution annuelle de 15 centimes par section de 2 hectares. Désormais, la renégociation est possible en cas de changement de circonstances « imprévisible » (nv. art.1195).
  • L’action interrogatoire qui permet de demander par écrit au représenté, de confirmer les pouvoirs qu’il a accordés à son représentant conventionnel (nv. art. 1158).
  • Les effets de l’inexécution du contrat en cas d’empêchement temporaire ou définitif, volontaire ou du fait d’un événement raisonnablement imprévisible (nv. art. 1218, 1351).
  • Le quantum des dommages-intérêts (nv. art. 1231 s.).
  • La gestion d’affaires, gérée sciemment et utilement, puis ratifiée (nv. art. 1301 s.).
  • L’obligation conditionnelle et sa condition soit suspensive, soit résolutoire (nv. art. 1304 s.). L’obligation à terme, exprès ou tacite ; l’obligation plurale ; l’obligation solidaire ; l’obligation cumulative.
  • La cession de créance, et, nouveauté du code civil, la cession de dette, libératoire ou solidaire, avec accord du créancier (nv. art. 1327 s.).
  • La définition du paiement, le lieu du paiement doit être « fait au domicile du débiteur » (mais ce caractère quérable n’est qu’un principe supplétif que les parties peuvent ne pas retenir). Toutefois, des dispositions particulières sont prévues pour les obligations de sommes d’argent – notamment payées par monnaie scripturale : elles sont qualifiées de portables et doivent ainsi être effectuées au « domicile du créancier » ; cf. art. 1342-6 et 1343-4 C. civ), son exigibilité, ses effets, la charge des frais, la preuve ; théorie de l’apparence ; la remise de la chose (nv. art. 1342 s.).
  • La mise en demeure, sa mise en œuvre, ses effets (nv. art. 1345 s.).
  • La preuve des obligations ; le principe de la liberté de la preuve ; la preuve par écrit (nv. art. 1353 s.).

 

Voilà, résumés succinctement les apports de cette ordonnance. Attendons de voir si ses ambitions se trouvent comblées tant dans la pratique franco-française que par sa reconnaissance en matière internationale.