CAC 40-PME: “Pourquoi la confiance n’est pas encore au rendez-vous”

Pierre Pelouzet est médiateur national des relations interentreprises ; Stanislas de Bentzmann, coprésident du directoire de Devoteam et président de CroissancePlus. Ils livrent un constat alarmant sur l’attitude des grandes entreprises envers leurs fournisseurs.

Avec la sortie de crise, les PME vont-elles mieux ?

Pierre Pelouzet. Le grain de sable qui peut tout enrayer est la relation interentreprises. Et là, les chiffres ne sont pas bons : 57% des entrepreneurs constatent une dégradation des délais de paiement sur les douze derniers mois, et 25%, une détérioration de la relation clients. Alors non, la confiance n’est pas encore au rendez-vous, alors qu’elle constitue une véritable clé de voûte. On risque d’étouffer la reprise.
Stanislas de Bentzmann. Les donneurs d’ordre n’hésitent pas à mettre en danger leurs fournisseurs avec, par exemple, des clauses léonines glissées dans les contrats ou des pénalités gigantesques.
P. P. J’ai en tête cet exemple dans le secteur naval, où l’on fait porter aux sous-traitants une responsabilité incroyable. Comme si celui qui peint la coque pouvait couler le navire. Du coup, les PME doivent prendre des risques ou perdre de l’argent avec des assurances hors de prix.

Où en est-on sur le respect des délais de paiement ?

P. P. Depuis dix-huit mois, cela se dégrade de nouveau. Les grandes entreprises ont repris leurs mauvaises habitudes. C’est un cercle vicieux, car chacun reporte sur l’autre les délais.
S. B. Une faillite sur quatre est directement liée aux délais de paiement. Leur allongement met l’économie en danger, une catastrophe.
P. P. Le “crédit” que se font entre elles les entreprises via les délais de paiement représente 600 milliards d’euros, contre 175 milliards pour les crédits bancaires de trésorerie. Elles vivent à crédit sur le dos des autres. Par rapport au délai légal de paiement, qui est de 60 jours, on est en moyenne en retard de 12 jours. Et quand il s’agit de payer les PME, on est plutôt à 30 ou 40 jours de retard. En revenant à ce qui est légal, on apporterait un bol d’air de 13 milliards à l’économie.

La loi va modifier l’encadrement des délais de paiement, est-ce que cela sera efficace ?

P. P. La loi LME avait été utile, tout comme le sera la loi Hamon, qui permettra aux autorités de sanctionner des délais abusifs.
S. B. Notons qu’en Allemagne, on paie à 30 ou 40 jours, et il n’y a pas de loi. Le délai est dans le contrat, et on a l’habitude, dans ce pays, de respecter sa parole.

La règle dans le business en France serait donc du chacun pour soi ?

P. P. Dans une même entreprise, à trois bureaux d’écart, la mentalité peut différer. Il y a toujours le court-termiste et celui qui est responsable.
S. B. Le court-termisme gagne l’économie. Tout se durcit, se crispe. Il y a une perte de responsabilité. Il y a de moins en moins de stratégie et de plus en plus de sauve-qui-peut.
P. P. Beaucoup de dirigeants d’entreprise ont pris conscience du problème, notre label de “fournisseur responsable” monte d’ailleurs en puissance. Le problème est dans la chaîne de commandement. Le PDG annonce un plan de réduction des coûts de 5%, le directeur financier table sur 10%, et on demande un effort de 20% aux fournisseurs. Ces derniers sont soumis à une pression d’enfer. Avant même de pouvoir mettre en place le crédit d’impôt compétitivité emploi, certains ont reçu des courriers de leurs grands clients réclamant que ce CICE soit répercuté dans les prix !
S. B. On a observé le même phénomène sur le crédit d’impôt recherche. Souvent, c’est assez subtil. L’excuse du changement de système informatique pour décaler de trois mois les paiements…
P. P. … Ou les appels d’offres qui permettent de piller les idées et passer commande au mieux-disant.
S. B. Exactement l’inverse de ce qu’il faut faire. Il faut coopérer avec ses fournisseurs, chasser en meute comme le font les Allemands.

L’Etat est-il toujours mauvais payeur ?

S. B. On vient de loin. Mais l’Etat payeur fait des progrès.
P. P. Oui, les délais se réduisent. Le problème est plutôt du côté des collectivités locales. Demandez aux acteurs du BTP ce qu’ils en pensent !

Source : Challenges – Propos recueillis par Thuy-Diep Nguyen et Pierre-Henri de Menthon