Les agences de notation Moody’s, Fitch, S&P Global Ratings et les autres sont sur le pied de guerre. Depuis le début de la crise du coronavirus, elles révisent à la baisse leur opinion sur la qualité de crédit des entreprises à un rythme inédit.

Masayoshi Son, le flamboyant patron de Softbank, ne sera ni le premier, ni le dernier à blâmer les agences de notation. Mercredi, le Japonais a accusé Moody’s de jugement «partial et erroné» , après que l’agence a abaissé la note de sa société d’investissement de deux crans, a révélé le «Financial Times». 

Risques pour les investisseurs obligataires

Depuis que la crise du coronavirus a fait plonger l’économie mondiale, les sanctions des acteurs de la notation pleuvent. Les agences qui évaluent la qualité de crédit des emprunteurs pour informer les porteurs obligataires des risques qu’ils encourent révisent leurs jugements à un rythme effréné. Sans doute plus encore que lors des dernières crises financières, où les entreprises n’étaient pas en première ligne.

Ces derniers jours, S&P Global Ratings a abaissé la note d’ADP (Aéroports de Paris) et sévi contre dix émetteurs du secteur pétrolier et gazier, dont Total, qui a vu la perspective attachée à sa note tomber à «stable». Accor a subi le même sort. Idem pour Axa, qui a été sanctionné par Fitch. Autre exemple: mercredi, Moody’s a placé les notations de sept constructeurs automobiles européens, dont Renault et Peugeot, sous surveillance négative. S&P a fait de même avec Engie.

«En temps normal, environ 10% des entreprises que nous suivons subissent une dégradation de leur note au cours d’une année, confie Aymeric Poizot, directeur général de Fitch en France. Avec la crise du coronavirus, nous avons fait presque la moitié de ce chiffre en seulement 10 jours». A ce jour, 70 notations d’entreprises ont fait l’objet d’une action négative (dégradations de note, abaissement de perspective, mise sous surveillance) de la part de l’agence, en raison de la pandémie.

La cadence est encore plus soutenue pour S&P Global Ratings, qui note énormément d’émetteurs en catégorie risquée. Le coronavirus a poussé ses analystes à procéder à 336 révisions défavorables au niveau mondial et 54 pour la région Europe-Afrique-Moyen Orient (à la date du 24 mars). L’agence américaine a dégradé les notes de 77 entreprises non-financières dans le monde et de 15 en Europe. Les médias, le divertissement, l’hôtellerie ou encore le transport sont les secteurs les plus touchés.

Effet pro-cyclique

Cette avalanche de sanctions ne risque-t-elle pas d’avoir un effet amplificateur ou «pro-cyclique» ? Ce procès a été fait aux agences lors de l’éclatement de la bulle des «subprimes» et lors de la crise de la zone euro en 2010-2012. En révisant à la baisse leur jugement, elles peuvent contribuer à renchérir le coût de financement des entités qu’elles notent, en particulier pour celles qui tombent de la catégorie des «bons élèves» à celle des emprunteurs à risque (on parle des «anges déchus»). La mécanique est implacable : les indices obligataires, qui guident les flux d’investissement, font une nette distinction entre les deux catégories de notes. Ce qui veut dire que les gérants de fonds positionnés sur la dette de bonne qualité sont souvent obligés de vendre les titres qui ont été dégradés en catégorie spéculative, aggravant inévitablement leur situation.

«La notation n’est qu’un thermomètre : chacun est responsable des décisions qu’il prend en regardant la température», juge Aymeric Poizot. «Les agences de notation sont régulées et agissent avec un maximum de transparence envers les acteurs de marchés. Fitch a déjà publié plus de 400 rapports en lien avec le coronavirus et s’évertue depuis le début à pointer les vulnérabilités des émetteurs – sur les critères de liquidité, d’endettement et d’exposition sectorielle – pour que chacun puisse anticiper les mouvements, avant même une dégradation de note.» Le directeur de Fitch insiste aussi sur un point : «nous gardons un horizon de temps long pour noter. Cela veut dire que notre opinion sur une entreprise s’appuie sur son profil financier jusqu’à la fin 2021… avec, c’est vrai, une difficulté : les hypothèses évoluent très rapidement.»

Comme le montre la décision de Softbank de révoquer Moody’s, les agences de notation risquent de compter parmi les boucs émissaires de la crise même si, contrairement à 2007, elles n’ont pas triché en attribuant des notes trop élevées à des produits financiers risqués. Malgré toutes les critiques formulées depuis plus de dix ans à leur encontre, les agences restent un rouage essentiel du monde financier. La meilleure preuve ? La Banque centrale européenne , qui vient d’annoncer un plan pour soutenir les emprunteurs publics et privés, utilise elle-même ce thermomètre

Source : Les Échos – Isabelle Couet