A l’occasion des Assises des Délais de paiement du 31 mai 2018, L’Association Française des Credit Managers a interrogé deux figures emblématiques de cette thématique.

Jeanne-Marie Prost, Présidente de l’Observatoire des Délais de Paiement et Pierre Pelouzet, Médiateur National des relations Interentreprises, répondent de façon clair et précises aux questions des professionnels de la gestion des risques.

Pouvez-vous nous donner votre avis sur la situation des délais de paiement en France et sur leur évolution ?

Jeanne-Marie Prost :
L’évolution est incontestablement favorable ainsi que nous l’avons relevé, avec l’Observatoire dans notre dernier rapport publié en mars. En 2016, comme l’année précédente, les délais de paiement moyens sont restés stables, à 44 jours de chiffre d’affaires pour les délais clients et 51 jours d’achats pour les délais fournisseurs. Les disparités sectorielles demeurent : trois secteurs continuent de souffrir particulièrement des retards de paiements de leurs clients : la construction, le soutien aux entreprises, l’information et communication.
S’agissant des retards, l’Observatoire constate, sur la base des données Altares qui mesurent le nombre moyen de jours de retard, que ceux-ci ont poursuivi leur décrue en 2017 pour s’installer en fin d’année en dessous de 11 jours. C’est un niveau historiquement bas pour la France, qui nous situe dans les bons élèves en Europe et montre que les efforts de mobilisation et les sanctions produisent leurs fruits.
Ces résultats encourageants ne doivent pas masquer les zones d’ombres. Outre les disparités sectorielles évoquées plus haut, l’Observatoire relève le rapport de force toujours déséquilibré entres les grands donneurs d’ordres et leurs partenaires commerciaux de taille plus modeste, au profit des grandes entreprises. Dans ce contexte, la décision annoncée par l’AFEP, lors de la remise de notre rapport, de rejoindre l’Observatoire va dans le bon sens.

Pierre Pelouzet :
Avoir des chiffres fiables donnés maintenant tous les ans par l’Observatoire avec une approche rigoureuse est un véritable progrès : cela permet d’aller au-delà d’un « avis » (mot utilisé dans votre question) et de ce fait de voir les avancées réalisées ainsi que le chemin qu’il reste à parcourir !

Devant le comportement de certaines entreprises, pensez-vous que les contrôles sur ce point devraient se multiplier et être accompagnés de sanctions plus importantes ?

Jeanne-Marie Prost :
De fait, c’est ce qui se passe actuellement. La politique de sanctions a été renforcée depuis 2015. En 2017 la DGCCRF a conduit 2600 contrôles, avec 230 sanctions engagées pour 15 M€ d’amendes. Ces contrôles sont efficaces, puisque le taux d’établissements en anomalie (tous délais de paiement confondus) n’a cessé de baisser et s’établit en 2017 à 12 %, soit 5 points de moins qu’en 2016 et 8 points de moins qu’en 2015. Les contrôles font également apparaître, au-delà de pratiques délibérément délictueuses, que certaines entreprises se mettent en infraction par leur mauvaise connaissance de la règlementation, notamment concernant les délais spécifiques, et par manque d’organisation, tant dans les procédures d’émission que de réception des factures.
Quant à renforcer encore le dispositif, cela a été fait récemment, puisque la loi dite Sapin II votée en décembre 2016 a porté le montant maximum des amendes à 2 millions d’euros, ce qui devrait être beaucoup plus dissuasif. Par ailleurs s’agissant de l’impact du « name and shame », D.Geny Stephan a annoncé en mars à l’occasion de la remise du rapport de l’Observatoire, son intention de renforcer la visibilité de la liste des entreprises sanctionnées en la publiant de manière groupée, une ou deux fois par an.

Pierre Pelouzet :
La politique de sanctions ne peut à mon sens être qu’une partie de la réponse face aux retards de paiements. En complément, il est impératif de travailler sur d’autres outils de prise de conscience et de progrès. Parmi ceux-ci, je veux souligner notamment la charte « Relations fournisseurs et achats responsables », signée par près de 2000 entreprises et acteurs publics, et le label du même nom que nous portons avec le Conseil National des Achats et dont le paiement des factures est l’un des articles majeurs. Les labellisés ont travaillé sur la promulgation de nombreuses recommandations pratiques pour améliorer les processus de paiements. Dans la suite logique de ces travaux, nous avançons maintenant sur la proposition d’une facture simplifiée qui devrait être présentée dans les mois à venir et qui j’espère contribuera à faciliter la vie des fournisseurs comme celle des clients !

Quel est votre point de vue sur les délais de paiement dans le secteur public ?

Jeanne-Marie Prost :
Sur ce point aussi, nous sommes dans la bonne voie : des efforts importants ont été conduits depuis plusieurs années par la DGFIP et les comptables publics pour réduire les délais de paiements. La généralisation progressive de la facturation électronique va soutenir encore ces évolutions ainsi que le renforcement de la transparence engagé depuis 2 ans. En effet, l’Observatoire publie désormais les délais globaux de paiements pour chaque ministère, et des chiffres détaillés par taille pour les collectivités territoriales et les établissements hospitaliers.
Les résultats sont encourageants pour l’État : en 2017, le délai de la commande publique est de 21,5 jours et tous les ministères respectent un délai inférieur à 30 jours. Pour les administrations publiques locales, globalement les délais sont respectés mais on constate que les petites collectivités paient plus vite que les grandes. Naturellement des difficultés subsistent et ne doivent pas être sous estimées, compte tenu notamment de l’activité de marchés publics toujours délicate en matière de respect des délais contractuels.

Pierre Pelouzet :
Là –aussi l’évolution de l’Observatoire qui donne aujourd’hui des éléments sur les paiements du secteur public a très certainement contribué à réaliser que si ce secteur n’était pas nécessairement moins bon payeur que le privé il comportait aussi des zones de progrès, notamment dans les processus de paiements. C’est pourquoi nous avons entamé depuis plusieurs mois un travail avec les associations d’élus (AMF, ADF et Régions de France) ainsi que la DGFIP pour collecter les bonnes pratiques utilisées dans le secteur public afin de pouvoir les partager largement. Nous espérons mettre une première vague de pratiques en avant à la rentrée prochaine.

Pensez-vous que l’arsenal législatif devrait encore être renforcé pour mieux encadrer le crédit interentreprise ?

Jeanne-Marie Prost :
Je privilégie la stabilité. Depuis 2014, plusieurs lois sont venues renforcer l’arsenal de contrôle et sanctions en matière de délais de paiements. Et les entreprises, à juste titre, nous alertent sur l’instabilité législative et l’inflation des normes.
Le cadre légal est aujourd’hui bien posé, l’arsenal de sanctions est suffisant, il s’agit désormais de faire respecter la loi par tous. Cela passe par l’approfondissement des efforts d’explication et de pédagogie, par l’engagement des entreprises à tous les niveaux et par la poursuite de la politique de contrôle conduite par la DGCCRF. Il sera intéressant à cet égard de voir quelles seront les réactions lorsque les premières amendes de 2 M€ tomberont dans les prochains mois.

Pierre Pelouzet :
Tout à fait en ligne avec Jeanne-Marie : un éventail d’outils tant législatifs que pédagogiques ont été déployés et commencent à avoir des effets. Ces premiers résultats ne doivent pas nous amener à relâcher notre vigilance mais au contraire à poursuivre nos efforts !
Je veux aussi rappeler à ce stade que les entreprises connaissant des difficultés à se faire payer par leurs clients, mais ne voulant pas pour autant dégrader leur relation commerciale avec lui doivent penser à saisir le médiateur des entreprises. Ils seront accompagnés confidentiellement, gratuitement et rapidement sur la voie d’un dialogue constructif avec leur client.

Les pénalités de retard sont largement sous utilisées. Quelles sont les solutions pour que les entreprises les intègrent dans leurs pratiques ?

Pierre Pelouzet :
Il faut rappeler que les pénalités de retards sont clairement inscrites dans la loi. En pratique, peu d’acteurs et principalement publics ont paramétré leurs systèmes pour payer automatiquement ces pénalités.
Le positionnement généralement entendu dans le privé est que l’on attend de recevoir une facture d’intérêt de retards de la part du fournisseur avant de les payer. Ceci suscite plusieurs commentaires de ma part.
Tout d’abord, il ne me parait pas évident, au vu des textes, qu’il faille être facturé pour payer des intérêts de retard. En toute logique, le calcul des intérêts de retard étant indiqué sur la facture d’origine, le payeur peut s’appuyer sur celle-ci pour régler ce qui est dû…. Intérêts compris.
En conséquence directe, les fournisseurs n’osant pas facturer ces pénalités alors qu’ils ont déjà dû se mettre à risque vis-à-vis de leurs clients pour être payés, très peu de paiements de ces intérêts de retard sont effectués.
Ceci est bien dommage de part et d’autre. Pour les fournisseurs, bien sûr parce que ces intérêts de retards peuvent être des sommes non-négligeables pour des petites structures et compenser les frais qu’elles ont dus subir pour financer ce retard. Mais pour les grands clients aussi parce que le paiement systématique d’intérêt de retards est un signe fort de respect vis-à-vis du tissu fournisseur et crée de la confiance. De plus l’expérience montre que, si on se met à valoriser le cout de ces retards de paiement au travers du cumul des intérêts de retards payés, on trouve rapidement de la motivation pour travailler à améliorer ses processus de paiements !
Donc mon conseil est d’aller vers un paiement automatique et un suivi au plus haut niveau des intérêts payés… comme levier de la réduction des retards de paiements !!