La chasse au cash est ouverte

Aujourd’hui réunis au Congrès des DAF organisé par « Les Echos », les directeurs financiers concentrent actuellement l’essentiel de leur attention sur leur trésorerie.

Des crises, ils en ont connu, les vieux briscards de la finance… Il y a eu 2008, bien sûr, et la crise de liquidités, mais tous les directeurs financiers se souviennent aussi du trou d’air de 1993 et, pour les plus anciens, de la naissance du concept de crise, en 1973. Le problème, c’est que le « cru 2012 » semble d’un nouveau genre et que personne n’a ni martingale ni calendrier pour en sortir. Alors, dans les salons et les dîners, on parle de « crise structurelle » et on évoque des « changements de modèles ».

Sur le terrain, en revanche, le temps n’est pas à la philosophie. Les fondamentaux sont de retour et, parmi eux, le seul, le véritable indicateur des temps difficiles : le cash. «  C’est aujourd’hui la principale préoccupation des entreprises. Il y a pour cela des facteurs conjoncturels, mais surtout structurels. Nous sommes entrés dans une crise permanente et les banques limitent l’accès au crédit : c’est évident pour les entreprises en difficulté, mais les entreprises saines voient aussi la différence avec des conditions d’accès au crédit compliquées et des enjeux cashcroissants », indique Benjamin Madjar, responsable cash & working capital services, chez EY (nouveau nom d’Ernst & Young).

Trésorerie : les liquidités surveillées de près

La tension sur la trésorerie est mesurable : selon le dernier indicateur de l’Afte et Coe-Rexecode, une part croissante des entreprises a connu une dégradation non anticipée de sa trésorerie au cours des derniers mois, dégradation essentiellement liée à l’exploitation. Autant dire qu’au quotidien les entreprises surveillent leurs liquidités comme le lait sur le feu. «  C’est l’indicateur le plus central et, en ce moment, il ne faut pas le quitter des yeux. C’est d’ailleurs le bon côté de la crise que d’avoir remis les projecteurs sur le cash », estime Jean-Michel Picaud, président du réseau d’audit et conseil RSM.
 
De fait, selon le deuxième baromètre de la fonction DAF réalisé début juin par MRC & C pour BDO et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes à l’occasion du Congrès des DAF organisé par « Les Echos » – et qui se tient aujourd’hui au Palais des Congrès –, la trésorerie est l’un des dossiers prioritaires des directeurs financiers, avec l’amélioration des indicateurs de performance (respectivement 42 % et 44 % des répondants). «  C’est actuellement le nerf de la guerre, pour les entreprises qui ne vont pas bien comme pour celles qui vont bien mais qui sont conscientes qu’il faut conserver leurs liquidités », confirme Michel Léger, commissaire aux comptes et président du cabinet BDO France.
 
Première chose à faire ? Mettre en place les bons indicateurs pour suivre l’évolution de ses encaissements et décaissements. «  Il est essentiel de mettre en place un tableau de bord de gestion de trésorerie qui soit transmis très régulièrement à la direction générale », indique Jean-Michel Picaud. Mieux vaut, ensuite, se serrer la ceinture… L’enquête de MRC & C pour BDO et la CNCC révèle que 46 % des entreprises misent sur la réduction des coûts et 36 % sur les gains de productivité.

Bonne gestion et jeu de pouvoir au comité exécutif

Même les PME ont mis en place des démarches d’optimisation de coûts : c’est le cas dans 3 entreprises sur 4, pour une économie moyenne de 80.000 euros, selon une étude récente d’Alma CG/CSA. Mais c’est sur leur besoin de fonds de roulement (BFR) que travaillent aujourd’hui la plupart des entreprises  : un chantier d’envergure et qu’elles n’ont pas fini d’explorer. En particulier, en matière de gestion des stocks : ces derniers ont progressé de 8 % en moyenne entre 2008 et 2011, représentant actuellement 33 jours de chiffre d’affaires, selon une enquête d’EY et Coface Services (lire encadré). « Après avoir beaucoup travaillé sur leurs encours clients, les entreprises en arrivent aujourd’hui à la gestion des stocks. Il y a beaucoup à faire sur le sujet, mais c’est un travail lourd : il faut mener des analyses ligne à ligne, sans rien lâcher », indique David Brault, directeur associé d’Objectif Cash.
 
Pour les directeurs financiers, il y a en outre là un enjeu politique. «  Comme ils l’ont fait avec l’encours clients, les directeurs financiers doivent aujourd’hui se battre pour influer sur la gestion des stocks et obtenir leur optimisation. Le problème est que les responsables de la production et des ventes ont, eux, tout intérêt à faire tourner les chaînes de production à plein régime et à avoir le maximum de stocks à disposition. L’évolution nécessaire ne pourra se faire que si la direction générale prend la mesure de l’enjeu de la rationalisation des stocks sur la gestion de la trésorerie », indique Benjamin Madjar. Un jeu de pouvoir dans lequel les financiers pourraient élargir encore un peu leur sphère d’influence. Mais surtout un impératif de gestion car – autant vous le dire « cash » – la crise n’est pas finie.

Un BFR constant malgré les efforts sur l’encours clients
Selon une étude réalisée par EY et Coface Services, le besoin en fonds de roulement (BFR) d’exploitation des entreprises a progressé en moyenne de 2 %, sur la période 2008-2011, passant de 27 à 28 jours de leur chiffre d’affaires (CA). « Les encours clients se sont plutôt réduits, notamment, grâce aux ¬efforts faits à la suite de la loi LME : le nombre de jours de CA, représenté par les crédits clients (DSO ou “Days Sales Outstanding”) a diminué de 6 %  », indique Benjamin Madjar, chez EY. « Mais ce que les entreprises ont gagné sur les clients, a été reperdu au niveau des stocks, qui ont augmenté, en moyenne, de 8 % entre 2008 et 2011. En outre, les entreprises ont, aussi, perdu au niveau des dettes fournisseurs : le crédit fournisseurs (DPO ou “Days Payable Outstanding”) a diminué de 5 % entre 2009 et 2011, pour partie en raison des restrictions des assureurs-crédit sur certains secteurs d’activité, où les entreprises ont été conduites à payer leurs fournisseurs plus tôt ».

Source : Les Echos Business 09/07/2013 – Cecile Desjardins, journaliste.