Faisant à écho aux inquiétudes de certaines entreprises, la Banque de France demande à ces acteurs couvrant les fournisseurs contre les impayés de leurs clients de se mobiliser davantage. Les assureurs-crédit temporisent, voire demandent à l’Etat d’en faire plus.

Après les banquiers et les assureurs , c’est au tour des assureurs-crédit de se retrouver sous pression des autorités et des entreprises. « Nous attendons clairement que les assureurs-crédit qui garantissent le paiement des factures des PME se mobilisent davantage », a déclaré en fin de semaine dernière François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France dans un entretien au Journal du Dimanche.

Une réunion devait se tenir dans la soirée de lundi «pour obtenir des explications sur la raison pour laquelle ils ne maintiennent pas les couvertures», indiquait-on hier à Bercy.

Incarnés en France par Euler Hermes, Coface ou encore Atradius, les assureurs-crédit garantissent les entreprises contre les impayés des clients auxquels elles ont accordé des délais de paiements. En temps de crise, ils peuvent décider de prendre moins de risques. Pour préserver les échanges commerciaux entre entreprises, l’Etat a donc décidé d’accorder au secteur une garantie publique, en passe d’être portée à 15 milliards d’euros. Ce filet de sécurité n’a pourtant pas résolu tous les problèmes.

Des résiliations « arbitraires »

« Je commence à voir des dossiers d’assurance-crédit arriver en médiation de la part d’entreprises qui ont eu des réductions de lignes [de couverture] qu’elles n’estiment pas justifiées », explique Frédéric Visnovsky, le médiateur du crédit logé au sein de la Banque de France. « Les assureurs-crédit n’ont pas la surface financière pour supporter tous les risques au même moment, mais il serait logique de les voir tout de même supporter des pertes. Or ils cherchent aujourd’hui à se protéger de toute perte face à l’inconnue de la sinistralité à venir », estime-t-il.

Les entreprises ne cachent d’ailleurs par leur inquiétude. « Ce à quoi on a affaire aujourd’hui, c’est à des assureurs-crédit qui résilient des lignes arbitrairement », explique Chérifa Hemadou, déléguée à l’Association française des trésoriers d’entreprise (AFTE).

Certes, des assureurs se montrent ouverts à la négociation et le système de garantie publique permet d’obtenir de nouvelles garanties. Toutefois, contrairement au dispositif qui a été mis en place outre-Rhin, il ne fonctionne que pour les échanges commerciaux futurs des entreprises et doit être activé au cas par cas, après négociation. « C’est un travail colossal de renégocier les lignes [de couverture] », déplore Chérifa Hemadou.

« Silence radio »

Du côté des assureurs-crédit, les critiques des pouvoirs publics sont reçues froidement. « Faire porter le chapeau à l’assurance-crédit c’est un peu facile et ça ne supporte pas l’épreuve des faits », lance Eric Lenoir, président du comité exécutif d’Euler Hermes France, le poids lourd du secteur dans l’Hexagone. « Certes, nous prenons des mesures d’ajustement de nos couvertures qui tiennent compte de l’évolution de la santé financière des entreprises, mais nous continuons de prendre de nouvelles garanties aussi et le solde de nos expositions n’est qu’en retrait relatif en comparaison avec la fin de l’année dernière ».

Le groupe, qui s’attend à une augmentation des défaillances d’entreprises en 2020 de l’ordre de 15 % souhaiterait que l’Etat engage entre 10 et 20 milliards d’euros de garantie publique complémentaire. De quoi couvrir les échanges actuels des entreprises à l’heure où elles risquent de faire face à une explosion des retards de paiements et des impayés. Or, « c’est silence radio du côté du gouvernement », assure Eric Lenoir.

« Notre sentiment est qu’à ce stade, les couvertures sont beaucoup moins réduites qu’elles ne l’ont été en 2009 », temporise aussi Patrice Luscan, le président de l’Icisa, une organisation internationale représentant notamment les assureurs-crédit.

De fortes disparités selon les branches

La répartition par branche d’activité donne une photographie du choc qui a secoué l’économie lors du confinement. Parmi les premiers bénéficiaires, on compte – sans surprise – le transport aérien , la restauration, l’hébergement, l’habillement ou le commerce non alimentaire. « On retrouve dans cette liste les secteurs les plus durement touchés par la crise. C’est la preuve qu’il n’y a pas eu de passager clandestin », en déduit Gérald Darmanin.

A l’inverse, les services postaux, l’assurance, l’énergie sont les moins demandeurs. On note également une divergence entre les magasins d’alimentation et les commerces non alimentaires . Pour les premiers, les reports de charges ont atteint 24 % le 5 avril, contre 76 % pour les seconds.

Toutes les régions concernées

Les demandes d’aides varient selon les départements, mais dans des proportions moins marquées que pour les secteurs. Le taux de recours va de 30 % dans le Lot à 57 % en Haute-Corse. A noter que ce taux est relativement élevé pour l’échéance du 15 mars là où se sont déclenché les premiers foyers du coronavirus. C’est le cas de la Corse, mais aussi de l’Alsace. En Ile-de-France, où l’épidémie est arrivée dans un second temps, la part des établissements ayant demandé un report est passée de 38 % le 15 mars à 51 % le 5 avril.

Hôtellerie, restauration, spectacle : les annulations de charges se précisent

Les discussions démarrent avec les professionnels les plus touchés par la crise pour définir selon quelles modalités leurs charges seront annulées. Seront concernés tout particulièrement les secteurs encore fermés en juillet. « J’ai commencé les réunions avec les restaurateurs et les hôteliers », explique Gérald Darmanin, tout en soulignant que « l’Etat n’avait jamais annulé des charges par secteurs ». « Est-ce qu’on va mettre un critère en fonction de la taille des entreprises ? C’est une discussion que l’on doit avoir », dit-il.

A l’Assemblée, le ministre a expliqué que cette exonération devait être évaluée sur le plan constitutionnel. Dans tous les cas, elle ne concernerait que les charges patronales, et non les charges salariales qui ouvrent des droits pour les salariés.

Source : Les Échos – Solenn Poullennec