Les commerciaux deviennent des alliés de la direction financière

Face au besoin croissant d’optimiser le besoin en fonds de roulement de leur entreprise, les directions financières gèrent plus finement le poste clients. Le dernier mouvement, qui s’amplifie actuellement, consiste à associer les commerciaux afin de renforcer encore ce contrôle.

Le commercial et le chargé de recouvrement sont aux deux extrémités de la relation client. Mais, alors que le poids des défaillances et des délais de paiement s’est accru ces dernières années sur la trésorerie des entreprises, la direction financière tente de favoriser leur collaboration. Le producteur de flacons de parfum SGD (536 millions d’euros de chiffre d’affaires), qui a particulièrement développé cette démarche, a ainsi réussi à baisser la valeur des retards de paiements de 7 millions d’euros en l’espace de deux ans ! Certes, il est difficile de mesurer la part d’optimisation du besoin en fonds de roulement des entreprises qui est due à une telle initiative. Tous les financiers qui l’ont mis en œuvre reconnaissent néanmoins que la gestion du poste clients a franchi une étape par rapport à la simple gestion administrative.

Une relation de confiance à établir

Le premier rapprochement entre les commerciaux et les directeurs financiers a commencé à s’opérer en 2009, lorsque ces derniers ont souhaité rencontrer les clients afin de comprendre leur situation financière, au-delà du simple bilan comptable, alors que le nombre de défaillances atteignait un niveau record. «Nous avons peu de clients, mais ils disposent chacun de gros encours, témoigne Sébastien Cordier, credit manager chez Versalis International SA succursale française. J’ai donc pris l’habitude de les rencontrer avec les commerciaux. Cela a deux mérites : non seulement nous rencontrons le client plus en amont mais nous pouvons également discuter de façon informelle avec les commerciaux lors des déplacements.» Un échange qui permet à la fois de recueillir des informations sur ladite entreprise mais aussi d’établir une relation cordiale avec le commercial.

Une fois ce premier contact établi, les financiers et les commerciaux doivent ensuite apprendre à parler le même langage. Si la direction financière fixe des règles en matière de délais de paiement et de recouvrement des créances, elle doit aussi laisser une marge de manœuvre aux commerciaux en charge de développer le chiffre d’affaires de l’entreprise. «Les avances à la commande versées par les clients sont indispensables dans le BTP, pour ne pas financer intégralement les matières premières en plus de la main-d’œuvre, témoigne Emmanuel Clerc, secrétaire général du groupe de construction Fayat (3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013). Nous nous réunissons toutes les semaines avec la direction commerciale pour étudier les conditions de paiement de nos clients ou prospects.» De plus, les commerciaux ont été formés afin de comprendre le bilan financier d’une entreprise et l’importance du besoin en fonds de roulement. Ainsi, la direction financière tente de les sensibiliser à l’impact que peuvent avoir les concessions qu’ils accordent.

Un intéressement des commerciaux

Si cette sensibilisation est nécessaire, cette collaboration n’est finalement possible que grâce à l’intéressement des commerciaux au besoin en fonds de roulement clients. De plus en plus, leur part variable prend en effet en compte la problématique du paiement. Ainsi, les performances de ces professionnels sont-elles de plus en plus jugées à l’aune des sommes réglées et non des contrats signés. «Ils ont désormais un objectif de volume de commandes et de marge moyenne mais aussi d’encaissements», confirme Emmanuel Clerc. Certaines entreprises poussent même la démarche plus loin, avec un niveau d’association plus fin, prenant aussi en compte les délais de paiement. Par exemple, chez Versalis, le directeur commercial a pour objectif que le délai de paiement moyen soit le plus proche possible de celui prévu dans le cadre des différents contrats.

L’entreprise de flaconnage SGD a également opté pour cette solution et réalise même un classement mensuel des commerciaux en fonction du nombre de jours moyens de retards de paiement. «Ce classement mensuel est public au sein de la direction commerciale, afin de créer une émulation au sein de l’équipe et inciter les moins performants à se mobiliser de manière plus renforcée», témoigne Eric Latreuille, credit manager groupe chez SGD et président de l’AFDCC. Dans la même logique, en milieu de mois, les commerciaux reçoivent un point d’étape sur les retards de paiements et sur les factures arrivant à échéance dans les deux semaines suivantes. Ainsi, ces derniers peuvent, si nécessaire, relancer leur client avant la fin du mois. Dans ce cadre, la direction financière et le service recouvrement sont là pour soutenir les commerciaux, afin de les aider à tenir leurs objectifs et, donc, à obtenir l’intégralité de leur part variable.

Une aide précieuse pour la direction financière

Pour sa part, en travaillant avec les commerciaux, la direction financière trouve des alliés essentiels pour préserver la relation avec les clients. Ces derniers peuvent en effet éviter les situations de conflits, notamment en répondant immédiatement aux réclamations concernant la livraison des produits. Or, si elles ne sont pas traitées rapidement, ces dernières débouchent sur des refus de paiement. «Les commerciaux doivent alors répondre aux contestations, notamment lorsque le client déclare qu’il y a une différence entre la quantité livrée et celle facturée, explique Sébastien Cordier. Ils ont directement l’information et peuvent étudier la demande en interne et y répondre en conséquence.» Cette médiation permet dans la plupart des cas de résoudre la situation, avant même d’engendrer un véritable retard de règlement. 

Dans certains groupes, comme chez SGD, les commerciaux vont jusqu’à mener des campagnes de prérelances quelques jours avant la date d’échéance des factures. Dans ce cadre, ils peuvent discuter directement avec la personne qui a émis la commande chez l’entreprise cliente, contrairement au service recouvrement qui s’adresse à la direction comptable. De plus, le dialogue établi par le commercial peut permettre d’éviter de passer par la procédure administrative avec des avertissements et donc, in fine, de réduire les encours du client.

Une collaboration encore à définir

Si l’efficacité de la collaboration est prouvée, le développement de cette tendance pose cependant la question du rôle des commerciaux en termes de recouvrement. SGD pour sa part estime que les prérelances font partie du travail du commercial. «Les plus aptes d’entre eux sont capables d’intervenir dans une démarche de prérelance et d’informer préalablement les clients du risque potentiel de blocage de commandes dans le cadre du contrôle crédit, poursuit Eric Latreuille. L’équipe recouvrement intervient ensuite en support des actions des commerciaux dans leurs relances, quand aucune information tangible laisse espérer un paiement rapide.» La direction recouvrement joue ainsi le rôle déplaisant de couper des lignes de crédit et le commercial peut prévenir son client, dans l’espoir de conserver un niveau d’encours suffisant pour continuer à travailler normalement avec lui.

Pour que chacun reste dans son rôle, la direction financière doit s’assurer de bien encadrer les tâches de chacun, afin d’éviter des conflits d’intérêts. «Si la rémunération d’un commercial est trop centrée sur les délais de paiement, ce dernier peut être tenté d’accorder une remise afin de tenir son objectif, alerte Emmanuel Clerc. Dans ce cadre, le recouvrement doit rester la tâche exclusive de la direction financière.» Pour le directeur financier, l’enjeu est alors d’établir une séparation stricte des pouvoirs afin que le processus ne devienne pas contre-productif !

Des commerciaux formés à la finance

Afin que les commerciaux réalisent que le chiffre d’affaires n’est pas la seule préoccupation de leur entreprise, ces derniers sont de plus en plus sensibilisés, notamment par des formations. Par exemple, dans la branche ciment chez Lafarge, tout nouveau commercial reçoit une formation. «Ensuite, le service crédit clients participe à des réunions commerciales et organise des séminaires afin de développer cette culture de la prévention du risque client et de l’encadrement des délais de paiement», témoigne Rémy Lozes, credit manager de cette activité. Une démarche qui se démocratise actuellement dans beaucoup d’entreprises, notamment celles dont les encours clients sont significatifs et pèsent lourdement sur leur trésorerie.

Source : Option Finance n° 1274 – Morgane Remy