Un nombre croissant d’économistes estiment que la Banque centrale européenne ne pourra pas changer ses taux directeurs cette année. Au risque de pénaliser les banques.

Mario Draghi pourrait bien être le premier président de la Banque centrale européenne (BCE) à ne pas avoir monté les taux directeurs. Les marchés ne semblent plus croire à un tour de vis avant son départ, en octobre prochain. Ni même au cours de cette année. Le taux de dépôt resterait ainsi durablement à -0,40 %. « L’étroite fenêtre pendant laquelle la BCE aurait pu relever ses taux de leurs niveaux négatifs s’est refermée », estime ainsi Simon Wells, un économiste d’HSBC. Pour ce dernier, la faible inflation ne justifie plus un tel mouvement. Pas plus qu’une croissance européenne qui devrait avoir encore perdu de sa vigueur d’ici la fin de l’été.

En outre, selon les traders, la Fed ne devrait procéder au maximum qu’à un seul relèvement du taux des Fed funds cette année, en juin. Elle pourrait le baisser en 2020. Si la BCE débute son resserrement alors que la Fed redevient accommodante, cette divergence de stratégie pourrait faire s’envoler l’euro.

Le doute s’installe

La liste des analystes estimant que la BCE conservera le statu quo cette année s’allonge. « Les marchés ne prévoient plus dans leurs prix qu’une hausse de 5 points de base en décembre 2019 », écrit l’équipe de Société Générale. Autant dire, pas de hausse du tout. RBC envisage une première hausse, de 15 points de base, au plus tôt en juin 2020. Quant au patron de la gestion obligataire européenne de Franklin Templeton, il n’anticipe plus aucun tour de vis avant 2021.

« Les marchés qui prévoient un statu quo monétaire à la BCE se demandaient en fin d’année dernière si la Fed procéderait à trois ou quatre hausses de taux en 2019 et s’attendent maintenant à leur baisse », tempère Frederik Ducrozet chez Pictet Wealth.

Selon lui, si l’économie s’améliore au deuxième trimestre, notamment si les indices PMI sont mieux orientés, l’institut d’émission aura les coudées plus franches.

Un début de normalisation

« La BCE devrait au moins essayer de ramener le taux de dépôt à zéro fin 2019 ou au plus tard début 2020, envisage Stéphane Déo, à La Banque Postale AM. Il s’agirait plus d’une normalisation que d’un resserrement. » Un changement qui soulagerait notamment la pression sur les établissements bancaires.

« Pendant longtemps, la BCE a expliqué que l’effet défavorable des taux négatifs sur la rentabilité des banques était plus que contrebalancé par le bénéfice des autres mesures accommodantes, notamment les achats d’actifs », témoigne Frederik Ducrozet. Mais avec l’arrêt du QE, cet équilibre n’existe plus. « Les profits des banques, s’ils sont mis en réserve, viennent augmenter leur bilan et donc leur capacité à prêter, explique Stéphane Déo. Une rentabilité qui s’érode est donc potentiellement synonyme d’un moindre financement de l’économie. »

Avec un taux simplement ramené à zéro, la BCE ne risque-t-elle pas de se retrouver dépourvue de munitions si l’économie se détériore encore ? « Elle dispose d’autres outils, explique Frederik Ducrozet. Elle peut utiliser sa communication, mais également son bilan de plus de 4.700 milliards d’euros et les prêts TLTRO (aux banques). »

Les marchés croient en effet à une nouvelle vague de prêts de long terme à taux extrêmement faibles. Selon Candriam, elle pourrait être lancée d’ici juin, pour soutenir les établissements italiens, qui doivent refinancer 250 milliards auprès de la BCE. Une échéance importante se présente pour eux en juin 2019, une autre en juin 2020, quand deux tiers du montant de TLTRO devra être remboursé. Sans intervention de la Banque centrale, leurs ratios de liquidités vont se dégrader fortement.

Source : Les Échos – Guillaume Benoit