Renouvelé à la direction générale de bpifrance, Nicolas Dufourcq détaille son projet pour la banque publique. Anticipant un retournement de cycle économique, il veut mieux accompagner les entrepreneurs.

Renouvelé ce mercredi à la direction générale de bpifrance pour cinq ans, Nicolas Dufourcq détaille sa feuille de route.

Vous achevez votre mandat à la tête de bpifrance. Quel bilan faites-vous des cinq dernières années ?

Collectivement, avec les équipes de bpifrance, nous avons réussi à installer cette banque dans le paysage. Depuis le printemps 2013, le bilan de bpifrance a plus que doublé sur la partie financement, en fonds de fonds nous avons largement contribué à motoriser le capital investissement français, tandis que le financement de l’innovation a considérablement augmenté. En parallèle, la satisfaction de nos clients n’a cessé de croître. On a conçu une boîte à outils formidable pour nos clients ! Nous voulions aussi agir en consolidateur pour les PME et leur permettre de devenir des ETI, ce qui a conduit à faire de l’accompagnement des entrepreneurs une priorité stratégique. Nous avons également fait respirer le portefeuille de société cotées et non-cotées car nous devons un rendement aux Français qui nous ont confié 20 milliards d’euros. Au total, bpifrance a déclenché une dynamique vertueuse, sans être prédateur ou « plombant » pour le marché privé.

Quelles sont vos priorités pour votre prochain mandat ?

L’abondance des liquidités rend moins nécessaire la croissance de notre activité de prêteur. Nous allons cependant intensifier nos efforts de financement sur les secteurs prioritaires : la transition énergétique, le tourisme, l’innovation, l’internationalisation et la modernisation des usines. La French Fab doit s’imposer comme une marque à l’instar de la French Tech. Nous devons aussi faire émerger les leaders de services de demain, dans les établissements hospitaliers, les écoles privées, les crèches… Nous allons aussi pousser les feux sur l’accompagnement : nous voulons couvrir le territoire de centres de formation pour chefs d’entreprise afin que ceux-ci bénéficient d’un véritable coaching. Il ne fait aucun doute que le cycle économique va se retourner d’ici à cinq ans. Le rôle de bpifrance c’est de permettre aux entreprises d’accumuler un maximum de puissance, financière et en capital humain, pour encaisser les chocs à venir.

“Il ne fait aucun doute que le cycle économique va se retourner d’ici à cinq ans. Le rôle de bpifrance c’est de permettre aux entreprises de bien traverser ce retournement.”

Justement, est-ce que BPI peut tenir le choc d’un ajustement brutal du marché ?

Nous sommes solides : nous avons 25 milliards de fonds propres et notre portefeuille de participations est désormais plus équilibré que par le passé. La BCE a éprouvé notre résilience en cas d’une correction des valorisations de marché de 30 %.

Le gouvernement vient de créer un fonds pour l’innovation dont vous aurez la gestion. Comment ses dividendes seront alloués ?

Les arbitrages finaux ne sont pas encore rendus mais bpifrance sera l’un des gestionnaires importants des 260 millions d’euros de dividendes engendrés annuellement par les titres placés dans ce fonds. Nous les mobiliserons notamment pour financer les start-up de l’innovation de rupture, c’est-à-dire principalement l’univers de la « deeptech ». Pour ce faire l’enjeu majeur sera d’accélérer très fortement le transfert de technologie du monde académique vers les entreprises.

Ces nouveaux moyens viendront-ils s’ajouter à vos crédits budgétaires qui financent l’innovation ?

Le financement de l’innovation par bpifrance (les aides, subventions, prêts à taux zéro) atteint environ 1,3 milliard d’euros par an. Nous allons stabiliser notre action à ce niveau, en accentuant la priorité accordée à aux innovations de rupture. Les années qui viennent vont être davantage consacrées aux technologies révolutionnaires, à l’instar de celles imaginées par Elon Musk, qu’aux technologies du digital popularisées lors de la dernière décennie par les grands du digital. Le point commun entre les deux univers sera l’intelligence artificielle, priorité absolue. Bpifrance veut accélérer ce mouvement de la « deeptech » en France. Nous voulons aller dans les laboratoires dénicher les chercheurs en blouse blanche et les convaincre de créer des start-up afin de faire éclore un nouvel écosystème et peut-être les leaders de demain. Accélérer la cadence du transfert de technologie est l’un de nos chantiers prioritaires.

“Nous voulons aller dans les laboratoires dénicher les chercheurs en blouse blanche et les convaincre de créer des start-up afin de faire éclore leurs idées.”

Mais les besoins de financement des entreprises sont-ils couverts ? Beaucoup de start-up ont des difficultés à boucler des tours de table de croissance…

Effectivement il y a encore un manque à combler de ce côté-là. Mais notre diagnostic pointe une faille « culturelle », pas un manque de liquidités ! Nous avons réussi à créer un chapelet de fonds français de « growth » : notre fonds Large Venture a été porté à 1 milliard d’euros et il existe désormais de grands fonds français de croissance tels Eurazeo, Partech , Sofinnova, Keensight. L’argent est là mais il n’y a pas encore assez d’équipes parisiennes prêtes psychologiquement à s’engager sur des tours de table à 100 millions d’euros…

Comment votre stratégie s’inscrit-elle dans la feuille de route du nouveau directeur général de la CDC ?

Nous sommes la branche Entreprises de la Caisse, et nous sommes dans une logique de complémentarité d’action. Comme la CDC, bpifrance sera attentive aux territoires. La proximité est centrale dans notre stratégie, c’est pour cette raison que nous avons ouvert des agences dans des villes moyennes. La question du renforcement de notre action auprès des TPE et notamment celles des quartiers prioritaires va également se poser. Nous y serons davantage présents dans les années à venir, c’est une nécessité.

La CDC envisage de se rapprocher de la Poste. Est-ce que Bpifrance va aussi se rapprocher de la Banque Postale qui commence à financer les TPE?

La Banque Postale est une banque banalisée en concurrence avec les autres acteurs banques, ce n’est pas le cas de Bpifrance. Nous sommes une banque de place, et pour la CDC sa branche dédiée à l’accompagnement et au financement des entreprises.

En 2018, vous voulez aussi accompagner les PME françaises en Iran, là ou aucune autre banque française ne les accompagne… Quand serez-vous prêt ?

Le sujet est complexe mais je suis raisonnablement optimiste : nous devrions avoir bâti un dispositif de financement que nous présenterons à notre gouvernance en avril. Nous avons déjà identifié une banque iranienne partenaire ainsi qu’une banque européenne qui réalisera les opérations de trade finance à nos côtés. Au-delà de l’Iran, nous allons continuer d’« harceler » les entrepreneurs pour qu’ils comprennent la nécessité absolue de se confronter à la mondialisation. C’est un impératif économique mais aussi sociétal. Nos études le prouvent, les entreprises peu internationales ont beaucoup plus de mal à recruter des talents et à innover.

“En parallèle du financement, nous devons mener une action d’accompagnement de masse pour aider nos entreprises à se professionnaliser.”

Lors de votre premier mandat, vous avez mis sur orbite une nouvelle banque. Ce nouveau mandat relève davantage de la consolidation de l’existant. Vous anime-t-il autant ?

J’ai la conviction forte que le capital seul ne peut pas suffire à transformer les entreprises françaises : on ne peut pas changer l’économie française en inondant les PME et les ETI de liquidités. En parallèle du financement, nous devons mener une action d’accompagnement de masse pour aider nos entreprises à se professionnaliser. C’est une mission passionnante. A l’international et dans la promotion de la French Fab nous avons beaucoup à faire !

On vous dit candidat à la succession de Stéphane Richard chez Orange. Qu’en est-il ?

Je suis bien obligé de m’intéresser à Orange puisque cela représente un quart du portefeuille coté de bpifrance ! Je suis administrateur d’Orange tout en étant tourné à 100 % vers bpifrance.

Source : Les Échos – Sharon Wajsbrot et Guillaume Maujean