Alors que la France table sur des pertes de l’ordre de 5 à 6 milliards d’euros sur les prêts garantis par l’Etat, le Royaume-Uni anticipe des pertes allant jusque près de 29 milliards d’euros pour son programme de prêts d’urgence aux PME.

Au Royaume-Uni, où les bars londoniens doivent désormais fermer à 22.00 heures, 1,2 million de PME ont eu recours au programme de prêts rebond.

La belle affaire. La France est le pays qui a débloqué le plus de prêts garantis par l’Etat (PGE) en Europe , mais elle prévoit un coût pour ses contribuables infiniment plus faible que son voisin britannique. Selon un document publié la semaine dernière par le National Audit Office (NAO), organe chargé de contrôler les dépenses publiques, le Royaume-Uni s’attend à des pertes trois à cinq fois plus importantes que la France, alors qu’il prévoit de déployer moins de la moitié des 122 milliards d’euros déjà accordés aux entreprises françaises.

Partant de l’hypothèse que le programme de prêts aux très petites entreprises affectées par la pandémie sera déployé à hauteur de 43 milliards de livres (47,4 milliards d’euros), le NAO estime le coût potentiel pour le gouvernement entre 15 et 26 milliards de livres (16,5 et 28,7 milliards d’euros) en raison de l’incapacité de nombreuses sociétés à rembourser l’argent et de fraudes. Il se base sur une projection du ministère de l’Economie, qui table sur un taux de sinistralité compris entre 35 % et 60 % pour ce mécanisme de prêts rebond, ou « Bounce Back Loan Scheme » (BBLS).

Une comparaison « mal aisée » pour Bercy

Ces projections contrastent singulièrement avec celles du ministère des Finances français, qui prévoit une sinistralité comprise entre 4 et 5 % sur l’ensemble des PGE. Sur la base des chiffres actuels, ceci correspond à une perte de 5 à 6 milliards d’euros sur l’ensemble du programme, qui peut durer jusqu’à six ans. Pour la seule année 2021, le projet de loi de finances a prévu une enveloppe de 1,3 milliard d’euros , correspondant à un taux de défaut proche de 1 %. Le gouvernement français aurait-il péché par optimisme ?

« On pense que les deux dispositifs ne sont pas similaires du tout, se défend-on au ministère des Finances. La comparaison est malaisée ». Bercy met en avant deux différences principales. Premièrement, le programme britannique s’adresse exclusivement à des TPE/PME pour un montant maximal de 50.000 livres, tandis que le français couvre tout le spectre des entreprises, même si 95 % des dossiers sont issus de PME. Chaque dossier pèse en moyenne 205.000 euros en France. Deuxièmement, le « BBLS » est garanti à 100 % par l’Etat alors que le PGE l’est à 90 %, les banques assumant le reste.

« Cela fait une très grande différence, insiste-t-on à Bercy. On pourrait dire que la sélection est beaucoup plus stricte en France car il y a un alignement entre les banques et l’Etat ». « Les banques approuvent les prêts en 24 à 72 heures pour les clients existants », souligne en effet le NAO. Cette quasi-automaticité a convaincu 1,2 million de PME de faire usage du dispositif, soit plus du double des dossiers français, dépassant les attentes du gouvernement de Boris Johnson .

L’Allemagne choisit la voie médiane

« Ce sont les différences dans les critères d’octroi des prêts qui expliquent l’essentiel de l’écart », juge Nicolas Hardy, analyste à l’agence de notation Scope, dans une note publiée vendredi et intitulée « Royaume-Uni versus France, la faramineuse différence entre les pertes attendues des dispositifs de prêts sur le Covid ». « Je suis un peu sceptique sur le taux français de 4 à 5 % mais 30 % me paraît trop, souligne cependant un autre analyste bancaire. Je me sentirais plus à l’aise avec un taux de l’ordre de 15 % ».

Dans l’entourage du Trésor britannique, on relativise. « Les prévisions de défaut sont très préliminaires et restent à ce stade hautement spéculatives », indique-t-on, soulignant que les calculs de l’Office for Budget Responsability (OBR), l’organisme indépendant chargé de surveiller les finances publiques, conduisent à des estimations de défaut encore plus larges, de 15 % à 60 %.

Entre les deux pays, l’Allemagne semble avoir choisi la voie médiane. Selon nos estimations, basées sur le projet de loi de finances 2021 du gouvernement fédéral, Berlin prévoit de mettre de côté 1,85 milliard d’euros au titre des garanties sur les prêts d’urgence déployés par la banque publique KfW . Rapporté aux montants demandés jusqu’ici, soit 56,7 milliards d’euros, ceci correspond à un taux de défaut de l’ordre de 3 % sur la seule année prochaine et trois fois le taux annuel retenu par Bercy dans son budget 2021.

Source : Les Échos – Alexandre Counis, à Londres, Thibaut Madelin, à Paris, Ninon Renaud, à Berlin