Des experts du poste clients, à l’aise avec les outils juridiques, financiers, commerciaux… et les qualités relationnelles

Dans les groupes structurés, le credit manager assure la rentrée de cash en gérant le poste clients. Pour éviter les défauts de paiement, il agit en amont du recouvrement, dès l’émission des factures, et peut mener sa mission jusque devant les tribunaux, au contentieux. Il doit être polyvalent, savoir collecter les informations sur la santé financière des clients de l’entreprise, et réussir à convaincre les équipes commerciales du bien-fondé de ses démarches. Sa mission s’amplifie lorsque sa société déploie à l’international ou agit dans un secteur particulièrement tendu.

Avoir des réserves de cash est indispensable pour toute entreprise, a fortiori en période tendue. Actuellement, les entreprises qui comptent sur les banques pourraient bien se tromper. “Ce n’est pas parce que le coût de l’argent est faible que les banques prêtent plus facilement”, avertit Axelle de Faÿ, directrice produit et customer success de Sidetrade, une plateforme de gestion en ligne de la relation financière clients.

“Les PME ne peuvent pas se permettre de ne pas payer les salariés par manque de cash. Il est obligatoire pour elles de gérer leur trésorerie”, renchérit Bernard Drui, directeur de Protiviti, une société de conseil spécialisée dans la gestion des risques, et notamment du risque client.

Or, dans une entreprise, le poste clients recèle souvent des réserves de cash inexploitées. “On oublie parfois qu’une facture émise a vocation à être encaissée, annonce Bernard Drui. Dans les périodes crispées, on préfère garder les clients et on oublie qu’il faut se faire payer.”

En France, l’activité de recouvrement, souvent abandonnée au comptable ou au directeur financier, n’a pas bonne presse. Dans la négociation avec leurs clients, les commerciaux n’intègrent que rarement la question, presque taboue, du paiement. Les grandes entreprises se dotent parfois d’un credit manager, rouage destiné à optimiser la gestion du poste clients.

Il doit agir dès en amont de l’émission de la facture, pour évaluer le risque clients. “La gestion du poste clients doit être intégrée à part entière dans la gestion des risques, affirme Bernard Drui. Il faut se poser les questions suivantes : Est-ce que le client est solvable ? Quelle est la nature de mon exposition avec lui ? Il faut aussi que le process de facturation soit bon, que la facture soit adressée à la bonne personne, les relances faites au bon moment…”

Cette recherche d’efficacité opérationnelle devrait être au cœur des préoccupations de tous les managers, afin d’éviter au maximum les litiges. “Le temps du contentieux est du temps que vous n’utiliserez pas pour chercher de nouveaux clients”, alerte encore celui-ci.

“Les trois disciplines que sont l’activité de recouvrement, l’activité de gestion des litiges et l’activité de prévention des risques clients, sont très synergiques, explique Axelle de Faÿ. Il faut, par exemple, prioriser le recouvrement en fonction du profil de risque du client et de l’exposition de l’entreprise. Via un logiciel dans le cloud, Sidetrade simplifie la gestion de l’ensemble du processus.”

Gérer le poste clients peut donc justifier la création d’un poste à part entière dans les plus grandes entreprises, ou le recours à des consultants externes dans les plus petites. L’attention particulière portée à la santé financière des clients et la détermination du credit manager à recouvrir les créances peuvent s’avérer vitales. En France, selon l’organisme Altares, au troisième trimestre 2013, moins d’une entreprise sur trois (30,6 %) s’acquittait de ses factures dans des conditions conformes aux termes prévus lors de la conclusion des marchés.

Christophe Lavernhe, credit manager du groupe Royer
Fonction panoramique

Le groupe Royer est l’un des principaux acteurs du négoce de chaussures en France, avec 15 000 clients dans 70 pays et 280 millions d’euros de chiffres d’affaires. Une envergure qui justifie le travail effectué par Christophe Lavernhe, credit manager, dont l’un des atouts est d’avoir par le passé occupé un poste semblable dans l’habillement au sein des marques de sport Columbia et Le coq sportif. “Chaque secteur a ses particularités, explique Christophe Lavernhe. Avec le temps, on apprend à mieux connaître ses problématiques. Quand je suis arrivé chez Royer, je connaissais déjà les clients, leurs façons de payer, leurs pratiques.”

Comme tout credit manager, Christophe Lavernhe revendique un parcours… singulier. “Je suis juriste de formation, confie-t-il. Mais le métier m’a plu car il est au carrefour des préoccupations juridiques, financières et commerciales de l’entreprise.”

Il considère son métier avec lucidité : “Avant, les fonctions liées au recouvrement étaient mal vues. C’était comme une punition. La raison d’être de l’entreprise est plutôt de vendre, pas de réclamer de l’argent au client. Ce n’est pas facile de se faire comprendre des commerciaux. La clé est de discuter avec eux.” Par exemple, en cas du blocage de l’expédition à un mauvais payeur, l’une des armes du credit manager : “C’est la plus redoutable et redoutée. Vous empêchez l’entreprise de travailler avec le client. Elle doit être utilisée en dernier recours, mais il ne faut pas non plus hésiter à le faire selon les cas”, souligne-t-il.

Mais le credit manager doit avoir une vision beaucoup plus large de sa fonction, ce qui est plutôt gratifiant. Le poste de Christophe Lavernhe lui permet d’agir en amont, de la négociation avec l’assureur-crédit (qui permet d’assurer une partie du poste client mais qu’il peut aussi utiliser comme source de données financières) jusqu’en aval, son premier métier : le contentieux.

L’attention du credit management doit être tous azimuts… “Les impayés sont parfois dus à des problèmes internes à l’entreprise : si un produit est défectueux, ou une facturation non conforme, les clients ne vont pas payer, pointe-t-il. Le credit manager est donc bien placé pour faire des suggestions qui amélioreront globalement le fonctionnement interne de l’entreprise.”

Pascal Fonteneau, credit manager chez Nordson
Open-minded et intuitif

Avant d’être credit manager, Pascal Fonteneau était directeur financier au sein de Nordson, un groupe BtoB présent dans plus de trente pays, qui fabrique des systèmes de technologies de précision. Désormais, l’essentiel de son activité est celle de credit manager sur l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. “Je suis arrivé là par hasard, parce que c’était l’aspect client qui m’intéressait : être au plus près du business, du cash”, explique Pascal Fonteneau.

Une partie de son équipe s’occupe du recouvrement, lui s’intéresse plutôt à la gestion du risque client. Son credo : pas d’assurance-crédit. “Souscrire une assurance-crédit ne couvrirait pas l’intégralité du poste clients et nous coûterait plus cher : 0,5 % du chiffre d’affaires, alors que je suis à moins de 0,1 % du CA de pertes sèches…”, s’amuse-t-il.

Pour parvenir à ces résultats, Pascal Fonteneau utilise les réflexes de l’investisseur qu’il est dans le privé. Il collecte de nombreuses informations financières. Il effectue des visites aux clients en compagnie des commerciaux de l’entreprise, un moment de partage de compétences qu’il estime bénéfique pour ces derniers. Et il se fie à son instinct.

“La clé est de se mettre dans la peau du client, résume-t-il. Penser comme lui. Ne pas arriver avec ses idées préconçues. Et si vous manquez d’informations, il faut être réactif. Si vous n’avez pas les comptes de l’entreprise par exemple : pensez à aller sur son site Internet. Il y a des chances pour que l’entreprise soit à son image… Il faut tout le temps être open-minded, ouvert à l’environnement, intuitif.”

Un bon ERP se révèle également indispensable pour traiter la masse de données, notamment pour une entreprise comptabilisant des dizaines de milliers de clients répartis dans le monde entier. “Il faut se doter d’un système fédérateur, bien paramétré, conseille Pascal Fonteneau. Bien segmenter la base clients. Et avoir un recours à un bon fournisseur de données financières.”

Les clients qui attirent son attention sont classés selon la probabilité qu’ils ont ou non de déposer le bilan. Pour les autres, les plus petits par exemple, il n’y a pas d’autres choix que d’ouvrir une ligne de crédit, et de surveiller leur attitude en tant que payeur. “Ceux qui ont plus de 30 jours de retard ont environ 5 fois de plus de chances de faire un défaut c’est-à-dire une procédure collective”, relève Pascal Fonteneau.

La dimension internationale accroît la mission du credit manager. Mais ce n’est pas la seule : “Plus les marges de l’entreprise sont faibles, plus il a de pouvoir, pointe Pascal Fonteneau. Si vous ne faites que 8 % de marge, et qu’on ne vous paye pas, vous perdez par exemple 92 % de la valeur du produit. Alors que si vous faites une marge de 80 %, vous perdez seulement 20 % de la valeur du produit.”

Linda Roger, credit manager chez USG People France
Entre commerce et finance

“Le secteur de l’intérim est l’un de ceux pour lesquels le credit management est le plus important, assure Linda Roger. Nous gérons des personnes, dans un contrat tripartite impliquant l’employeur et l’intérimaire. Or si l’employeur ne nous paie plus, nous devons quand même continuer à payer l’intérimaire… Et cela arrive, malheureusement, car ces sociétés sont susceptibles d’être en difficulté financière.”

Vingt personnes travaillent sous ses ordres. Linda Roger leur apporte sa compétence particulière de credit manager, cas rare de personne formée spécifiquement à cette fin après le lycée…

“J’ai eu de la chance, reconnaît-elle. Dans les années 80, une entreprise américaine, spécialisée dans les composants informatiques, est venue me chercher à la sortie du lycée, où j’avais décroché un bac comptabilité. L’entreprise m’a fait suivre une formation à l’AFDCC [Association des credit managers et conseils], en me donnant un complément d’information car ils étaient précurseurs dans ce domaine. Le métier m’a plu.”

Depuis les années 80, Linda Roger exerce donc la fonction de credit manager, “rouage entre les commerciaux et les obligations financières”. “Je ne privilégie aucune dimension, affirme-t-elle. J’aime beaucoup les visites clients. J’apprécie la partie contentieux, qui passe par des phases juridiques, devant les tribunaux. Nous accompagnons nos avocats. De même, nous travaillons avec un assureur-crédit, mais lorsqu’il ne nous couvre pas, je travaille avec mes équipes pour trouver des garanties avec le client.”

Dans ce secteur très tendu, Linda Roger doit agir en amont. Dès l’émission de la facture, elle s’assure de la conformité de celle-ci par un courrier. Elle s’enquiert des difficultés éventuelles de ses clients : “Le bilan et les informations légales ne constituent que la moitié de la décision. Nous disposons des informations de l’assureur-crédit. Mais nous avons aussi les informations que l’on partage au cours de déjeuners professionnels ou tout simplement celles de la presse, qui informe des difficultés de tel secteur. Il faut aussi savoir saisir les informations de l’intérimaire qui rentre un jour et dit : ‘Oh là là , cette société ne va pas bien’. Enfin, nous faisons toujours une analyse post mortem des dossiers”, énumère-t-elle.

Mais une fois encore, pas question de réagir mécaniquement. On peut aussi décider d’aider un client à passer un cap difficile. “L’orienter vers un organisme qui va l’aider, accepter un échéancier, suggère celle-ci. Un client que vous aidez à passer un cap difficile, c’est un client fidélisé.”

Éric Latreuille, credit manager chez SGD Group
De l’écoute au conseil

“J’ai connu ce métier par hasard”, admet volontiers Éric Latreuille, qui officie aujourd’hui à la tête de l’AFDCC (Association des credit managers et conseils). Il est par ailleurs credit manager chez SGD Group, l’un des leaders mondiaux de la production et de la décoration de flacons en verre pour les industries de la parfumerie-cosmétique et de la pharmacie.
“J’ai commencé par être assureur-crédit, raconte Éric Latreuille. J’étais confronté à des entreprises dont je constatais les besoins particuliers dans la gestion du poste clients. Ils pâtissaient du manque de gestion des retards de paiement, du défaut de sensibilisation des équipes commerciales à ces problématiques…”

Éric Latreuille façonne son premier poste de credit manager dans le secteur de la publicité. Il travaille alors dans une société qui vend des espaces publicitaires à des annonceurs de la presse gratuite. “Les délais de paiement étaient très longs, se souvient-il. Il y avait un problème classique : l’absence de sensibilisation de l’entreprise à la situation financière de ses clients. Elle était en forte croissance et avait du mal à se gérer. On est venu me chercher pour y remédier.”

Éric Latreuille apprécie la proximité avec les commerciaux, mais aussi le contact avec la clientèle. Il ne s’agit pas seulement d’enquêter sur le client pour évaluer sa santé financière, ou de le relancer. Il faut parfois simplement être à l’écoute et prodiguer… du conseil. “Leur dire par exemple : ‘vous avez trop de stocks’, illustre celui-ci. C’est quelque chose que l’on peut se permettre quand on est en relation avec eux, et certains sont en demande…”

Ce poste multifacettes requiert selon lui des qualités relationnelles et psychologiques. “Nous finissons par connaître beaucoup de monde, s’enthousiasme-t-il. Il faut avoir une capacité à mettre ses interlocuteurs en condition favorable pour obtenir d’eux le maximum d’informations.”

PME, le recours au consultant indépendant

L’un des problèmes de l’entreprise étant le manque de sensibilisation global aux problématiques de recouvrement et de santé financière de leurs clients, des consultants en credit management ou credit managers indépendants choisissent de dispenser des formations à leur intention.

“Dans une PME dont le chiffre d’affaires est inférieur à 50 millions, il est très rare de voir un credit manager, confirme Sylvain Gros-Désirs, credit manager indépendant. Ce peut être un directeur des affaires financières ou un responsable du recouvrement qui exerce ces fonctions.”

Dans ces petites entreprises, le credit manager prodigue de la formation ou du conseil afin de rendre les collaborateurs autonomes.

“Ils veulent être formés au recouvrement des créances, aux nouvelles techniques ou aux nouveaux outils (logiciels de recouvrement de créances, indicateurs de performances), et ce plutôt à l’amiable qu’au contentieux”, égrène Sylvain Gros-Désirs.

Depuis quelques années, comme le cycle de vente est un peu plus long, de plus en plus de personnes interviennent dans le processus d’achat : “Cinq en moyenne, ce qui rend le travail des commerciaux plus difficile, mais aussi le délai de paiement problématique”, souligne-t-il.

Les équipes commerciales ont donc tout intérêt à être initiées au credit management. Comment acquérir les bons réflexes ? Faire entrer les délais de paiement dans la négociation commerciale ? “C’est une question encore presque taboue, regrette celui-ci. Souvent, elles ne savent pas l’impact que cela a sur la marge.”

Le consultant travaille alors sur les conditions générales de ventes, censées être “le socle de la négociation commerciale”, l’argumentaire, la culture de l’entreprise, attire l’attention sur le profil des clients. “Lesquels sont des grands comptes ? Lesquels sont déterminants pour le CA ? Selon les cas, la négociation se révèle plus ou moins technique. Le tout s’inscrit dans une recherche d’efficacité opérationnelle.”

Source : Le Nouvel Économiste – Solange Brousse