Le gouvernement a commandé un rapport sur le niveau pertinent des seuils d’audit légal des comptes. Si ces derniers étaient relevés, cela pourrait priver la profession de 150.000 mandats.

Les commissaires aux comptes tirent le signal d’alarme. « Jamais la menace sur nos mandats PME n’a été aussi forte ! », indique Jean-Luc Flabeau, président d’ECF, le syndicat professionnel Experts-Comptables et commissaires aux comptes de France.

En novembre dernier, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, et le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire ont confié à l’Inspection générale des finances une mission afin d’évaluer la pertinence de la présence des commissaires aux comptes dans les PME. Cette mission a ouvert une réflexion sur les seuils d’audit obligatoire. Les conclusions du rapport sont attendues pour la fin du mois de février. Cette réforme est redoutée depuis de nombreuses années par la profession.

Des seuils d’audit légal en France inférieurs à ceux européens

Aujourd’hui, en France, l’obligation de nommer un commissaire aux comptes dépend de la taille de l’entreprise et de sa nature juridique. Si les sociétés anonymes y sont contraintes dès leur constitution, les SARL, elles, doivent dépasser certains seuils : un chiffre d’affaires supérieur à 3,1 millions, un total de bilan de plus de 1,5 million et plus de 50 salariés. Dans les SAS, les seuils sont encore inférieurs.

Le problème c’est que ces seuils sont très en dessous des seuils européens fixés, au moment de la réforme européenne de l’audit en 2016 , à 8 millions de chiffre d’affaires, 4 millions de total de bilan, 50 salariés. Si le gouvernement a décidé d’ouvrir ce dossier, c’est à l’occasion de la préparation du projet de loi de simplification de la vie des PME annoncé pour le printemps prochain et qui vise à donner plus de compétitivité aux entreprises françaises. Faire auditer ses comptes représente un coût qui peut être de l’ordre de 3.000 à 4.000 euros.

Un réel cataclysme avec 150.000 mandats en moins

Pour la profession, une remontée des seuils au niveau des seuils européens serait un réel cataclysme. « Cela pourrait priver les commissaires aux comptes d’environ 150.000 mandats » note Olivier Salustro, président de la Compagnie Régionale des Commissaires aux Comptes de Paris. C’est beaucoup sur un total de 190.000 mandats auprès de sociétés commerciales, et de 220.000 en incluant les associations et les établissements publics. En termes de chiffre d’affaires, certains s’attendent à une perte entre 800 à 900 millions d’euros sur un total de 2,7 milliards.

Le niveau de ces seuils en France se justifie par la nature du tissu économique français, essentiellement composé de petites entreprises. En Allemagne, les seuils sont supérieurs, car il y a beaucoup moins de petites entreprises. Et puis, en France, l’audit légal ne s’arrête pas à la certification des comptes. Il comprend aussi des missions d’intérêt général, à travers l’alerte – quand l’entreprise est en difficulté -, la révélation de faits délictueux au procureur. Un moyen de préserver l’activité et l’emploi en France et de lutter efficacement contre la fraude qui sévit sévèrement dans les PME.

Récemment, l’Italie a choisi d’abaisser ses propres seuils et donc d’augmenter les obligations en matière d’audit. L’objectif poursuivi est d’intérêt général. Il consiste à réduire les risques menaçant les entreprises, et notamment le risque d’insolvabilité.

Un audit adapté et simplifié et non dégradé

En novembre, la ministre de la Justice a rejeté toute « position défensive qui s’en tiendrait au simple statu quo ». Parmi les propositions faites par ECF, l’audit adapté et simplifié. « Nos institutions cautionnent depuis trop longtemps la culture du mono-produit, avec comme maître mot : un audit est un audit », explique Jean-Luc Flabeau. En clair, les normes et les contraintes sont quasiment les mêmes pour chaque entreprise, quelle que soit la taille. « Un audit adapté et simplifié n’est pas un audit dégradé, mais un audit allégé qui serait plus adapté aux besoins de l’entreprise et donc plus utile », ajoute-t-il. Cela se traduirait par moins de formalisme. Le commissaire aux comptes ne passerait plus que 28 heures, contre 40 heures aujourd’hui pour faire son audit. Pour l’entreprise, cela réduirait son coût de l’ordre de 30 %.

Source : Les Échos – Laurence Boisseau