Du groupe Bel à Orange, les entreprises françaises pointent les difficultés posées par le départ des banques tricolores du continent. Avec in fine, un risque d’effet boomerang pour les établissements financiers.

Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole accélèrent leur départ d’Afrique. Une voie rapide pour dé-risquer les bilans et satisfaire leurs actionnaires. Mais pour les états-majors des entreprises françaises, ce n’est clairement pas une bonne nouvelle.

« Nous regrettons vivement le retrait des banques françaises », déplore Benoît Rousseau, responsable des financements de la société Bel.« L’Afrique est un marché compliqué, mais les entreprises françaises continuent d’y opérer. Cela pose un vrai problème tant au groupe qu’à nos distributeurs à travers le continent », critique le responsable financier de l’entreprise présente au Maghreb, au Sénégal et en Afrique du Sud, ainsi que plusieurs pays africains via ses partenaires, eux aussi coupés des banques tricolores.

Selon le Trésor, la France reste le deuxième pays d’investissement en Afrique avec un stock de 38,9 milliards d’euros engagés et 2.440 filiales d’entreprises françaises (+60 % en dix ans) employant 235.000 personnes. Emmanuel Macron, lui-même, vient d’y emmener une délégation au Maroc, avec 10 milliards d’euros de contrats à la clé.

Mais les banques françaises, sur le continent, ne suivent plus. Et Benoît Rousseau de comparer avec les banques américaines, qui offrent un accompagnement systématique aux groupes américains dans des zones difficiles, de même les banques allemandes qui ont un réseau de correspondants bancaires très développé.

Point faible face aux Américains

« Les Etats-Unis ont compris que leurs banques constituaient un levier de politique commerciale et les banques américaines ont intégré une approche géopolitique. Les banques françaises, elles, ont une approche beaucoup plus financière sous la pression de leurs actionnaires », critique-t-il. « Aucun politique ne les orientera, et leur dira : ‘Il nous faut au moins un réseau bancaire français par continent, donc vous restez !’ », blâme le responsable.

Bel n’a pas trop de doute sur ses capacités à trouver des banques d’autres nationalités partenaires, comme au Maroc où Crédit Agricole et Société Générale se sont retirés. Il est très sollicité par des banques locales. « Mais elles ne nous connaissent pas aussi bien que nos banques françaises partenaires, et inversement. C’est du temps perdu qui n’est pas mobilisé pour la politique commerciale. »

Au niveau du siège, très concrètement, cela vient déséquilibrer l’équilibre commercial instauré : les banques françaises réclament, comme toute banque, du « side business » – des activités complémentaires – en contrepartie des prêts qu’elles accordent, explique-t-il, « donc c’est autant qu’on ne peut plus leur donner ».

De plus, les processus de paiement et de financement s’en trouvent aussi désorganisés. « C’est extrêmement complexe de changer de banque, cela suppose d’ouvrir des comptes bancaires dans des zones compliquées avec des contraintes de compliance assez lourdes », déplore Benoît Rousseau.

Crédit plus cher

Même critique du côté de Voltalia, présent au Maroc, en Egypte, au Kenya et en Afrique du Sud. « Les banques locales ne sont pas capables d’offrir le même niveau de services que les banques françaises, comme la communication bancaire via Swift », témoigne Mickaël Djafarpour, son trésorier.

Elles ne connaissent pas le producteur d’énergie, ce qui suppose de nouvelles due diligence. In fine, le coût de financement se renchérit : « De clients significatifs, nous devenons de petits clients pour ces banques étrangères, car elles financent nos projets locaux, mais pas nos opérations menées au niveau du siège du groupe » comme pouvaient le faire les banques françaises. Par conséquent, « nous perdons en pouvoir de négociation et devons payer plus cher », déplore Mickaël Djafarpour, qui se dit démarché par les banques chinoises, comme ICBC et Bank of China, ou encore le sud-africain Standard Bank.

Le départ des banques françaises, et en particulier de Société Générale, qui étaient des partenaires de premier plan, a aussi eu un impact pour un gros acteur tricolore dont l’Afrique est devenue le moteur de croissance, Orange.  Le groupe a dû construire ses propres critères d’analyse pour appréhender le risque des nouvelles contreparties bancaires africaines, souligne Matthieu Bouchery, le directeur du financement et de la trésorerie du groupe. Depuis deux ans surtout, Orange a mis en place une cellule de financement uniquement dédiée à l’Afrique. « Les banques locales ont des bilans encore limités, explique-t-il, il faut que de nouveaux canaux de financement se développent, comme l’obligataire. »

Pour Sandrine Ngo Hagbe, responsable de la trésorerie d’Ingérop, ce retrait aura in fine une conséquence qui ne jouera pas en faveur des banques françaises, voire pourrait se retourner contre elles. Face à la difficulté de centraliser les opérations et de gérer la trésorerie de ses filiales locales, le groupe d’ingénierie actif du Maroc à l’Afrique du Sud remplacera progressivement les banques françaises par des banques anglo-saxonnes ou panafricaines.

Comme les banques françaises, celles-ci demanderont du « side business » dans l’Hexagone et dans les autres régions du monde où elles sont présentes. « Elles vont ainsi gagner du terrain en France auprès des entreprises, car il faudra aussi à un moment les intégrer dans le pool de banques du siège », prévient Sandrine Ngo Hagbe.

Source : Les Echos – Anne Drif