La maîtrise du risque client, tellement essentielle qu’elle a fait naître des processus qualité et une fonction dédiés

Comment “sécuriser” le chiffre d’affaires de son entreprise ? Pour améliorer régulièrement les délais moyens de règlement de leurs clients, nombre de chefs d’entreprise commencent à s’intéresser aux techniques dites du credit management. Importées des pays anglo-saxons, elles visent à mettre en place un processus qualité permettant de réduire, à chacune des étapes de la relation commerciale que l’entreprise entretient avec ses clients, les risques pouvant conduire à des retards ou des incidents de paiement.

Fixation des délais de paiement et du calendrier des échéances, gestion des retards de règlement, limitation des risques d’impayés, organisation des procédures de relance, traitement des procédures contentieuses… Relégués le plus souvent au second plan des préoccupations des dirigeants d’entreprises pendant les périodes de forte croissance, les problèmes liés à l’encours client (c’est-à-dire au montant du chiffre d’affaires facturé par l’entreprise mais non encore réglé) ont resurgi au cours des dernières années, avec une acuité toute particulière en raison du ralentissement de l’activité économique. Les raisons ?

Les spécialistes de la comptabilité nationale ont calculé que le crédit interentreprises représentait désormais un montant total récurrent de l’ordre de 600 milliards d’euros, soit 30% environ de notre produit intérieur brut, et plus de 40% des actifs totaux des entreprises françaises. Mais surtout, l’Insee affirme, dans une étude publiée récemment, que, pour l’année 2013, une défaillance d’entreprise sur quatre a été provoquée par les impayés (parfois même pour des sommes relativement faibles) de ses clients, soit près de 15 000 entreprises victimes d’impayés sur un total de 60 000 entreprises défaillantes. D’où l’intérêt sans cesse croissant des chefs d’entreprise pour la notion de “credit management”.

Une technique financière dont la vocation est de viser, pour utiliser le vocabulaire à la mode, à “sécuriser” le chiffre d’affaires. “De fait, indique Vincent-Bruno Larger, secrétaire général de l’AFDCC (Association française des credit managers et conseils), qui fédère environ 800 entreprises et organismes associés concernés par ce secteur d’activité, notre association apporte régulièrement à ses adhérents des outils et des bonnes pratiques destinées à améliorer l’efficacité de leur système de credit management, et à contribuer ainsi au développement et à la sécurisation de leur chiffre d’affaires.”

Encours clients, amont et aval

Mais tout d’abord, qu’est-ce que le credit management ? Imaginé aux États-Unis il y a un peu moins d’un demi-siècle, le concept a été introduit en France il y a une bonne vingtaine d’années, au début des années 1990. On peut le définir comme un dispositif managérial destiné à maîtriser et à contrôler le niveau de l’encours client dans les entreprises. “Une approche, assure Christophe Duperray, directeur du développement de Agir Recouvrement, une société conseil spécialisée d’une centaine de personnes basée à Cholet, dans le département du Maine-et-Loire, qui débouche normalement sur la mise en place au sein des entreprises d’un processus qualité visant à réduire, tout au long des relations commerciales qu’elles sont amenées à entretenir avec leurs clients, les risques pouvant conduire soit à des retards de paiement, soit à la mise en œuvre de recours contentieux.”

Cela commence dès la phase amont de prospection de la clientèle potentielle, par un travail minutieux d’analyse des risques de non-paiement correspondant à chacun des prospects de l’entreprise. Ce qui permet aux équipes chargées de la commercialisation d’adapter leurs propositions – en termes de délais ou de moyens de paiement par exemple – au profil spécifique de chacun de leurs clients. Puis, pendant la phase suivante de négociation des contrats, il s’agit d’obtenir des conditions financières de règlement adaptées au profil de l’entreprise et de veiller à ce qu’elles y figurent explicitement, au même titre que le montant des sommes facturées ou le calendrier de livraison des prestations. Vérité d’évidence : plus le délai de paiement est court, plus on optimise la trésorerie de son entreprise.

Enfin, une fois les contrats signés, il est indispensable de mettre en place, en liaison avec les services contentieux, une organisation susceptible de faire face dans les meilleures conditions aux conséquences d’éventuels incidents de paiement. Ce qui suppose une démarche de recouvrement des créances impayées fondée sur des systèmes efficaces de relance amiable des clients, de suivi systématique des litiges et de mise en œuvre des procédures judiciaires prévues par la loi au cas où il faudrait malheureusement y recourir. Bref, on comprend que l’approche du credit management suppose la mise au point, au sein des entreprises intéressées, d’un véritable processus qualité à caractère transversal associant au minimum les services commerciaux et les services financiers mais aussi, le plus souvent, les équipes juridiques, comptables et logistiques.

“Mise en place d’un processus qualité visant à réduire, tout au long des relations commerciales, les risques pouvant conduire soit à des retards de paiement, soit à la mise en œuvre de recours contentieux”

Principal indicateur utilisé pour mesurer le délai moyen de paiement des clients de son entreprise et l’efficacité du système de credit management qui y a été mis en place : le DSO (Days Sales Outstanding), que l’on pourrait traduire par “nombre moyen de jours impayés”. Il se calcule très simplement en divisant le montant total des encours par le montant moyen du chiffre d’affaires facturé quotidiennement par l’entreprise. On a compris que la diminution régulière de ce quotient traduit une accélération des flux de trésorerie, et donc une amélioration de la performance du dispositif mis en place au sein de l’entreprise.

Une contribution stratégique à la vie de l’entreprise

Le défi n’est sans aucun doute pas simple à relever. “En effet, explique Philippe Touzet, avocat au cabinet Touzet-Bocquet Associés, spécialisé dans le traitement des recours contentieux pour le compte des entreprises, on sait que, dans la plupart des relations commerciales, le rapport de force est plutôt défavorable au vendeur qui est contraint de subir la loi de l’acheteur.” Aujourd’hui pourtant, la définition d’une politique de crédit devient un objectif prioritaire pour tout dirigeant soucieux de l’efficacité, de la cohérence et de la pérennité de sa situation financière.

C’est ainsi que l’intérêt pour une entreprise de disposer en son sein d’un système de credit management efficace, surtout en période de ralentissement économique, apparaît de plus en plus comme une évidence. Non seulement il lui permet d’entretenir avec ses clients des relations commerciales fondées sur des bases saines et des engagements clairs, mais surtout, il contribue à améliorer régulièrement son besoin en fonds de roulement et à limiter, éventuellement, le recours à des solutions externes telles que l’endettement bancaire ou l’affacturage pour financer son cycle d’exploitation courant. Point important : en augmentant ses capacités de financement propres, le credit management apporte une contribution stratégique essentielle au développement et à la vie de l’entreprise.

Pas étonnant, dans ces conditions, que l’on ait vu apparaître au cours de ces dernières années, dans un nombre d’entreprises sans cesse croissant, une fonction nouvelle, celle de “credit manager”. Parti du monde anglo-saxon, le phénomène a gagné progressivement la France. Longtemps limité au seul secteur industriel, il commence à se répandre dans de nouveaux secteurs d’activité comme la grande distribution ou les services, et l’on compte certainement aujourd’hui quelques 3 000 cadres portant le titre de credit manager au sein des entreprises françaises. On les trouve prioritairement dans les grands groupes ainsi que dans leurs filiales les plus importantes.

Ainsi, selon une enquête réalisée en 2012 par le cabinet Robert Half pour le compte de l’AFDCC, auprès d’un échantillon représentatif de la profession, on constate que 75% des credit managers sont employés dans une entreprise réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 150 millions d’euros. Autre enseignement de cette étude : 60% des credit managers sont rattachés à la direction financière de leur entreprise, même s’ils sont conduits à travailler en liaison étroite avec de nombreux autres services : marketing, commercial, administration des ventes, comptabilité, juridique, informatique… “À cet égard, rappelle Vincent-Bruno Larger, 88% des praticiens du credit management considèrent leur métier comme un mélange subtil de compétences techniques d’une part, et relationnelles d’autre part.”

Ressource interne, conseil ou formation

Toutefois, on constate que le concept de credit management tend aujourd’hui à gagner le monde des PME. Tout d’abord, l’enquête conduite par le cabinet Robert Half en 2012 a montré qu’un nombre significatif de responsables d’entreprise réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 15 millions d’euros, invite désormais leurs responsables financiers à s’intéresser à cette technique managériale. Mais surtout, on a vu se créer, au cours des dernières années, des entreprises de conseil spécialisées dans le credit management. C’est le cas de la société EGC France, installée à Toulouse, qui organise régulièrement des sessions de formation à destination des chefs d’entreprise désireux de s’initier à ces techniques. Une centaine de formations de ce type ont été organisées sur mesure l’an dernier auprès de clients appartenant à des secteurs économiques très différents.

“Le credit manager occupe le plus souvent une fonction transversale associant prioritairement les services financiers et les équipes commerciales”

Mais elle propose aussi à ses clients des missions d’observation, visant à aider les responsables financiers à mettre sur pied un système performant de credit management au sein même de leur entreprise. “Au terme d’une mission relativement courte de quelques semaines, explique Loïc de Rosbo, directeur de projets dans cette société, nous pouvons mettre en place des outils de gestion du poste clients relativement performants dans des petites ou moyennes entreprises.”

Autre mode d’intervention possible : ce que l’on appelle le “sprint cash” et qui consiste à réaliser des opérations ponctuelles auprès d’entreprises en difficulté financière afin de les aider à récupérer en urgence un certain nombre de leurs créances impayées.

Un maximum de ventes pour un minimum de risques : telle est donc aujourd’hui la devise que les experts du credit management mettent en avant pour justifier leur fonction, soit dans l’entreprise elle-même, soit en tant que conseil extérieur. Elle vise avant tout à témoigner du fait que, loin d’être un frein au développement de l’entreprise, comme on a pu parfois le lui reprocher, la technique du credit management peut jouer un rôle décisif en faveur de la protection des intérêts financiers de l’entreprise. De cette façon, elle tend de plus en plus à occuper une place spécifique aux côtés des outils plus traditionnels de financement de la trésorerie des entreprises, comme l’affacturage ou l’assurance crédit. En effet, l’enquête réalisée en 2012 par l’ADFCC a montré que l’existence d’une approche credit management forte au sein des entreprises françaises était loin d’être incompatible avec le recours à des partenaires extérieurs à vocation financière. Elles étaient ainsi 8 % à utiliser également les services d’une banque classique ou d’une société de financement spécialisé, 10 % ceux d’une société d’affacturage et près de 40 % ceux d’une société d’assurance-crédit.

Source : Le Nouvel Économiste – Didier Willot