Par Nicolas BOUZOU pour Les Echos

LE CERCLE – Si l’on voit bien les inconvénients du développement en cours des taux négatifs, on peine encore à les utiliser de façon optimale pour l’économie, écrit l’économiste Nicolas Bouzou. Ce qui donne du poids aux critiques qui s’abattent sur les politiques accommodantes des banques centrales.

La politique de taux zéro, voire de taux directeurs négatifs, nous fait entrer dans un monde baroque où des banques centrales facturent des banques qui leur confient des liquidités et où des banques commerciales peuvent rémunérer des clients à qui elles font crédit. Cette politique brouille les repères des agents économiques tant elle est novatrice. Mais novatrice ne peut pas toujours dire pertinente.
Cette politique monétaire est-elle justifiée ? Cela peut se discuter. Comme le rappelait Jacques de Larosière dans ces colonnes il y a quelques jours, la Banque centrale européenne (BCE) essaie d’atteindre une cible d’inflation (2 %) dont rien ne dit qu’elle soit pertinente aujourd’hui, et encore moins demain.

Gains de productivité
La troisième révolution industrielle, qui constitue la principale « infrastructure économique » contemporaine, ne génère pas encore beaucoup de gains de productivité. C’est très classique. Tous les cycles d’innovations schumpéteriens mettent du temps à produire leurs effets. Pour l’heure, les gains de productivité sont réprimés dans les entreprises en raison d’une organisation et d’un management qui sont plus cohérents avec le modèle de production fordiste qu’avec celui de l’économie de l’intelligence artificielle. Mais, quand les organisations s’adapteront, la productivité décollera, les coûts unitaires des entreprises baisseront et les pressions déflationnistes s’accentueront.
Faudra-t-il alors conserver une cible d’inflation constante ? Et d’ailleurs, la faible inflation actuelle dans la zone euro (un peu supérieure à 1 %) est-elle un problème ? Qui peut soutenir que notre économie irait mieux avec une inflation de 2 % ?
Rappelons aussi que l’économie de la zone euro ne souffre pas d’une insuffisance conjoncturelle de demande globale pour laquelle une relance monétaire serait indiquée. Certes, la zone présente un excédent courant important qui traduit un excès d’épargne sur l’investissement. Mais cet excédent est structurel et a une cause identifiée : la réticence dogmatique des Allemands à baisser les impôts ou à financer des infrastructures. La politique budgétaire globale de la zone euro est mal ajustée. Ce n’est pas une question monétaire.

Signal dysfonctionnel
Cette politique de taux négatifs est-elle efficace ? Si son objectif est de pousser les agents économiques à moins épargner, à consommer ou à investir, c’est un échec. La politique de taux zéro envoie aux agents économiques un signal dysfonctionnel inquiétant qui les pousse à épargner encore plus sur des supports liquides. Du côté des entreprises, cette politique n’augmente pas l’investissement, tétanisé par des anticipations négatives. Enfin, la politique de taux négatifs et le profil de la courbe des taux qui l’accompagne va finir par ruiner les banques commerciales dont les activités d’intermédiation deviennent non rentables. La BCE cherche-t-elle à obtenir le monopole du financement à crédit de l’économie ?

Cette politique, aussi critiquable soit-elle, est néanmoins celle choisie par la BCE. Comment en tirer parti ? Certains suggèrent aux Etats de s’endetter davantage, par exemple pour financer la transition écologique. Ce raisonnement est délicieusement démagogique, mais incomplet. Tout dépend des pays. L’Allemagne, mauvais élève européen en matière d’émissions carbone, a en effet tout intérêt à utiliser l’endettement pour réaliser sa transition énergétique.
Ce n’est pas le cas de la France ou de l’Italie. S’il y a un avantage aux politiques de taux négatifs, c’est qu’elles permettent de se désendetter rapidement, comme l’inflation autrefois, puisque les taux sont très inférieurs à la croissance du PIB nominal. Ainsi, les pays très endettés qui, dans cette période, voient leur taux d’endettement augmenter, risquent de se retrouver insolvables le jour où la politique de taux négatifs sera devenue intenable.

 

Source : Les Echos

Auteur : Nicolas Bouzou