En supprimant l’obligation de recourir aux commissaires aux comptes pour les PME, le gouvernement va entraîner la destruction de 8.000 à 10.000 emplois. Avec, en prime, des effets négatifs mal estimés pour l’économie de notre pays.

Il n’a échappé à personne que le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire,  s’apprêtait à tuer les commissaires aux comptes dans 153.000 entreprises en l’annonçant comme un cadeau pour ces dernières… avec des dégâts irrémédiables pour l’économie.

Jusqu’à présent, très rationnellement et en conformité avec les théories économiques les plus modernes, le législateur avait adapté les seuils d’audit à la structure de notre économie. Car les petites et moyennes entreprises représentent près de 60 % de la valeur ajoutée produite dans notre pays. Aujourd’hui, Bruno Le Maire parle de « surtransposition » du droit européen. Ce n’est qu’une transposition adaptée à notre pays en vertu du principe de subsidiarité. Il est dangereux de laisser croire que chaque Etat n’a pas à adapter les objectifs européens à ses propres réalités.

Bruno Le Maire cite pour sempiternel exemple l’Allemagne, dont la valeur ajoutée est majoritairement issue des ETI et des grandes entreprises. Laisser penser que ce résultat serait la conséquence de seuils d’audit élevés peut être qualifié, au mieux, d’erreur manifeste d’appréciation…

Renforcement des contrôles

Mieux aurait-il valu dire aux entreprises la vérité. La vérité, c’est que les Etats européens dont les seuils d’audit ont été relevés il y a quelques années font machine arrière – c’est notamment le cas de la Suède, du Danemark et de l’Italie. Un retour en arrière au vu de l’augmentation des erreurs comptables… et de leurs conséquences sur l’assiette fiscale et sociale, sans oublier le risque de dégradation de la confiance résultant d’une information financière plus opaque. On en attendait un gain pour les entreprises. C’est l’inverse que l’on constate.

Comment cacher aux entreprises françaises qu’elles verront leurs contrôles par l’administration renforcés ? Bruno Le Maire voulait  moins de contraintes pour les PME  ? Elles y gagneront en stress et, nous tous, en charges publiques supplémentaires. Décidément, les apparences peinent à cacher la réalité : les solutions ne changent guère ! Au moment où il faudrait réduire le coût de la puissance publique, c’est l’inverse qui nous est promis.

Nous avions proposé, pour répondre aux préoccupations du gouvernement, d’adapter les diligences d’audit auprès des PME afin d’économiser 45 % du coût tout en leur permettant d’en conserver les bénéfices. Solution balayée d’un revers de main.

Ce sont bien 70 % de mandats qui pourraient disparaître avec, à la clef, une perte de 8.000 à 10.000 emplois. Tous les cabinets vont être impactés : 500 professionnels vont perdre entre 70 % et 100 % de leur chiffre d’affaires, et des régions françaises la majorité de leur offre d’audit.

Renforcement des « big four »

De plus, cette mesure aura un redoutable effet concentrateur. Nous risquons une situation d’oligopole autour des « big four » (EY, KPMG, PWC et Deloitte), comme dans 15 des 28 Etats européens et notamment au Royaume-Uni, qui s’en alarme aujourd’hui. Avec le risque systémique attaché, celui que cherchait à écarter la Commission européenne au moment de proposer la réforme européenne de l’audit. Bruno Le Maire est-il conscient de cette injonction européenne ? Des risques que comporte pour notre économie nationale et européenne une telle décision ? Ou faut-il l’ignorer et privilégier les effets d’annonce, teintés d’un récurrent court-termisme politique ?

Bien sûr, il n’est jamais aisé de réformer tant les résistances affleurent. Mais faut-il pour autant avancer tête baissée ? La fausse conscience est la plus grave des erreurs.

Ce qu’il adviendra, comme ailleurs, d’ici à cinq ans, c’est qu’un nouveau gouvernement, constatant l’échec, abaissera les seuils sans pouvoir s’appuyer sur le tissu robuste et diversifié de nos cabinets d’audit… qui auront disparu.

Jean-Luc Flabeau est président d’ECF (Experts-Comptables et Commissaires de France).

Jean-Luc Flabeau
Source : Les Echos