La Blockchain investit le secteur de la naque, de la finance et de l’assurance. Mais comment la réglementation définit-elle ce terme de Blockchain, que regroupe-t-il vraiment et quels sont les projets de régulation. L’avocat Eric Caprioli nous éclaire sur le sujet.

Par-delà la banque, la finance et les assurances, les blockchains (BC) se répandent peu à peu dans tous les pans de l’économie. A deux reprises en 2016, le législateur est intervenu sur la technologie Blockchain dans le domaine des bons de caisse (Loi n°2016-520 du 28 avril 2016) et dans celui des titres (Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dite loi Sapin 2). Pour autant, ce n’est que tout récemment que le vocabulaire de l’informatique   été enrichi sur le sujet.

DÉFINITION : DES CHOIX CONTESTABLES

Sept termes ont été définis par la Commission d’enrichissement de la langue française avec plus ou moins de bonheur. En effet, pourquoi définir la « monnaie électronique » comme une « Monnaie dont des unités de compte sont stockées sur un support électronique », alors que c’est un terme propre à la finance et que l’on dispose déjà d’une définition à l’article L. 315-1 du Code monétaire et financier : « La monnaie électronique est une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l’émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement définies à l’article L. 133-3 et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de monnaie électronique ». Par ailleurs, on peut regretter que des termes essentiels qui se situent au cœur de la blockchain, tels que « smart contract » (contrat intelligent) ou preuve de détention (« proof of stake ») ne soient pas définis.

DE NOUVELLES DÉFINITIONS

La « blockchain » est une chaîne de blocs ou plus précisément un « mode d’enregistrement de données produites en continu, sous forme de blocs liés les uns aux autres dans l’ordre chronologique de leur validation, chacun des blocs et leur séquence étant protégés contre toute modification ».

Le texte cite comme exemple d’utilisation la cybermonnaie où la blockchain sert de registre public pour les transactions. Dans le Code monétaire et financier (art. L. 223-12), pour l’émission et la cession de minibons, il est question d’un « dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification des opérations ». Dans la loi Sapin II, l’article 120  prévoit le recours  à un dispositif d’enregistrement électronique partagé. « afin de permettre la représentation et la transmission des titres financiers ».

La « cybermonnaie » ne doit pas être confondue avec la monnaie électronique (sic !) ; de plus, l’utilisation des expressions « monnaie virtuelle » ou « crypto-monnaie » est déconseillée. On est « heureux » de voir inscrit dans le marbre du journal officiel que le bitcoin est l’une des principales cybermonnaies ; pour le définir assez pauvrement comme une « monnaie dont la création et la gestion repose sur l’articulation de techniques de l’informatique et des télécommunications ».

Le « pair à pair » (peer-to-peer) désigne un mode d’utilisation qui permet des échanges directs sans recourir à un serveur central entre des participants connectés et disposant des mêmes droits. Il est utilisé dans les échanges de fichiers, le calcul décentralisé et les transactions en cybermonnaie, étant précisé que cette définition annule et remplace celle publiée au JO du 13 mai 2006. Est-ce-que cette définition était nécessaire, sinon pour dire qu’elle s’applique à la blockchain étant donné qu’elle est connue depuis de nombreuses années comme d’ailleurs les procédés cryptographiques utilisés (signature électronique, horodatage, hachage) et les bases de données ?

Les aspects informatiques sont définis en trois termes qui s’enchaînent et se nourrissent les uns les autres.

Tout d’abord, le « minage » est utilisé dans certains systèmes de paiement tels que Bitcoin et Ethereum. Il consiste en la création de nouvelles unités de compte au profit du participant dont le bloc a été validé. Ensuite, la  « validation de bloc » est le résultat d’opérations informatiques ayant pour objet de rendre infalsifiable un bloc et de valider son inscription dans une chaîne de blocs. Rien ne précise ce que sont les opérations informatiques en cause, alors qu’il eut été sans doute utile de les mentionner. C’est cette opération qui sera rémunérée en cybermonnaie. Cette validation peut être attestée par une « preuve de travail ». Cette preuve « est le résultat d’une tâche (validation de bloc) fortement consommatrice de ressources de calcul (celles des mineurs), dont l’exactitude est facilement vérifiable par tout participant et atteste que cette tâche a bien été effectuée en consommant les ressources nécessaires ».

QUELS PROJETS DE RÉGULATION POUR LA BLOCKCHAIN ? LA FINANCE DANS LE VISEUR

Pourtant, les précisions terminologiques ne sont pas toujours suffisantes, étant donné qu’il est souvent nécessaire de déterminer les effets juridiques des opérations et leurs conditions de sécurité. Ainsi, suite à une consultation de la Direction générale du Trésor, un projet d’ordonnance relative à la transmission et la présentation de titres financiers au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé (ou Distributed Ledger Technology) a été publié le 19 septembre 2017. L’inscription dans la blockchain se substituera à celle dans le compte-titre. Un décret précisera les modalités de mise en œuvre du nouveau dispositif.

L’initial coin offerings (ICO) constitue une nouvelle forme de levées de fonds pour financer des projets spécifiques avec des émissions de tokens en contrepartie de monnaie ou de crypto-monnaie. Ces opérations se fondent sur la Blockchain.

Selon l’AMF qui a lancé une consultation publique (communiqué du 26 octobre 2017), les ICO présentent des risques liés à la nature des jetons émis, à l’absence de réglementation spécifique, à la documentation d’information, à la perte en capital, à la volatilité ou l’absence de marché, à des escroquerie et du blanchiment. Là aussi, sans doute, une régulation s’avèrera nécessaire.

En fin de compte, plus que la technologie elle-même qui doit rester libre afin de permettre l’innovation, ce sont les usages des blockchains que le législateur doit appréhender, au cas par cas, en fonction des intérêts en jeu et de la nécessité de les réguler ou pas.

Eric A. CAPRIOLI, Avocat à la Cour de Paris, Docteur en droit, Membre de la délégation française aux Nations Unies, Vice-Président de la FNTC et du CESIN

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Source : L’USINEDIGITALE