La BCE fait pression sur les banques engluées dans les prêts non performants pour qu’elles s’en défassent.
Les cessions de créances douteuses européennes ont atteint un pic, à près de 200 milliards d’euros l’an dernier.
Près de dix après la crise financière, trop de banques européennes restent engluées dans les « créances douteuses », ces crédits que les emprunteurs – particuliers et entreprises – ne parviennent pas à rembourser en temps et en heure. Aussi la BCE, le superviseur européen, a-t-elle décidé de traiter le problème avec plus de poigne. Elle a mis en place un groupe de travail ad hoc et, dans le cadre de sa nouvelle revue annuelle de la situation de chaque banque (« SREP »), elle pousse fermement les établissements les plus chargés en prêts non performants à s’en défaire progressivement. « Ces actions ont tendance à générer un marché de créances douteuses en Europe, ce qui est positif : il se crée ainsi un prix de marché, et pas un prix de “stress” au détriment de la banque qui veut céder ses prêts non performants [NPL] », explique une source au sein de la BCE.
Aux premières années de la crise, les centaines de milliards d’euros de créances « pourries » des banques britanniques, irlandaises ou espagnoles avaient été transférées dans des « bad banks ». Désormais, les banques européennes cèdent leurs NPL à toute une série d’investisseurs privés en recherche de rendement. « On retrouve quelques groupes internationaux originaires des Etats-Unis ou du nord de l’Europe, des acteurs locaux parfois leaders sur leur marché domestique et, plus récemment, de grands fonds d’investissement », explique Jérémie Dyen, président exécutif du Groupe MCS.
Et les résultats sont là, puisque le stock de NPL recule dans la zone euro. Selon les estimations, les transactions de créances douteuses ont atteint entre 180 milliards et 200 milliards d’euros l’an dernier en Europe. Il s’agit bien de la valeur des cessions, et non du montant facial des créances douteuses ainsi échangées. « Ces 180 milliards d’euros représentent un point haut depuis la crise de 2008 », souligne Khalid Krim, « managing director » chez Morgan Stanley. En 2016, les transactions devraient tourner autour de 120 milliards d’euros.
Un fardeau pour la rentabilité des banques
Mais le stock de créances « pourries » reste lourd puisque, selon les chiffrages, il atteint encore entre 800 et 1.200 milliards d’euros en Europe. Les montants en jeu varient fortement d’un pays à l’autre : le gros du fardeau se situe en Italie et en Espagne.
Face à ce problème persistant, les autorités de contrôle des banques européennes défendent leur politique plus musclée. « Laisser les banques gérer seules ce boulet des créances douteuses ne les pousse pas à la diligence. Le rôle du superviseur est d’agir, car ces prêts non performants pèsent sur la profitabilité des banques, qui doivent allouer des moyens pour gérer un héritage du passé. Et dans les pays les plus touchés, le niveau des nouveaux crédits n’est pas élevé », note un spécialiste de la supervision. Dans les pays où la pression est moins forte – en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas – les cessions de créances douteuses se poursuivent, davantage à l’initiative des banques. Car les nouvelles normes comptables IFRS 9, prévues pour 2018, viendront pénaliser tous les établissements. « Elles contraindront les banques à provisionner plus rapidement et de façon plus importante leurs créances douteuses », explique Bruno de Saint Florent, associé du cabinet Oliver Wyman.
Sur le papier, l’opération de cession des NPL est simple. Les investisseurs les rachètent avec une décote, mais les banques ne peuvent pas se permettre de vendre à la casse. « Si le prix de cession est trop faible, les investisseurs se mettent à douter de la qualité de l’ensemble du bilan de la banque », détaille Khalid Krim. De plus, « la cession de NPL n’est qu’une façon parmi d’autres de muscler les fonds propres de la banque. [Notamment], elle comparera ainsi le coût de ses différentes sources de capital et financement du côté du passif ». A l’arrivée, les portefeuilles se négocient donc avec une décote de 20-30 % pour les créances les moins abîmées, et jusqu’à 50 % de décote pour les plus dégradés.
Reste à savoir si ces ventes de crédits pourris ne vont pas diffuser le risque dans le reste du système financier. « Les investisseurs qui rachètent ces NPL y trouvent leur compte car ils sont spécialisés dans le recouvrement de créances difficiles. De plus, ils ne se financent pas par de l’épargne publique . Ce sont les actionnaires qui portent le risque », estime un bon connaisseur de la régulation.