Les marchés ont traversé leur pire semaine depuis la grande crise financière. Les Bourses mondiales ont plongé de 11 à 12 %, alors que la propagation de l’épidémie de coronavirus s’accélère. Sur les marchés financiers, le risque d’emballement est réel.

Les marchés n’avaient pas connu une telle semaine depuis la crise financière de 2008. En quelques jours, tous les indicateurs sont passés dans le rouge. Signe que la panique s’est emparée des marchés mondiaux , le VIX, vu comme « l’indice de la peur » – il mesure la volatilité du S&P 500 – a frôlé en séance les 50 points, avant de redescendre autour de 40, ce qui ne lui était plus arrivé depuis l’été 2015.

Jeudi dernier, les marchés mondiaux sont entrés en phase de correction, les replis depuis les récents plus hauts dépassant 10 %. En fin de semaine, les principaux indices européens avaient décroché d’environ 12 % : -11,94 % à Paris, -11,12 % à Londres, -12,44 % à Francfort et -11,26 % à Milan. L’indice Euro STOXX 50 a corrigé de 12,39 %. Wall Street a limité ses pertes vendredi mais les pertes hebdomadaires restent lourdes : -12,36 % pour le Dow Jones, -11,49 % pour le S&P 500 et -10,54 % pour le Nasdaq.

Rien qu’à Paris, depuis le début de la baisse le 20 février, 190 milliards d’euros sont partis en fumée, soit l’équivalent de la capitalisation boursière de LVMH ou de celles, cumulées, de Total et d’Airbus. Dans le monde, ce sont environ 6.000 milliards de dollars de capitalisation qui ont été effacés depuis le début de la semaine.

1 Faut-il craindre une capitulation des marchés ?

L’espoir que l’épidémie soit de courte durée s’est évanoui . A Wall Street, comme sur les autres places, les baisses quotidiennes ont pris plus de l’ampleur au fil des jours. Vendredi 21, le S&P 500 perdait 1 %. Les 24 et 25, les chutes étaient de l’ordre de 3 % et après une petite respiration, l’indice large de Wall Street a perdu plus de 4 % jeudi. Le risque est désormais celui d’un emballement à la baisse, comme l’explique l’économiste Véronique Riches-Flores.

« L’accélération à la baisse enregistrée sur les indices américains n’est pas de bon augure pour les Bourses mondiales qui voient s’éloigner au fil des séances de fortes baisses consécutives les chances d’un possible ressaisissement et croître, à l’inverse, celles d’un emballement à la baisse. » La chute de cette semaine a été d’autant plus rude que les investisseurs actions se sont longtemps montrés complaisants face au virus. « Contrairement aux marchés de taux, les marchés actions sont revenus tardivement dans le monde réel et le retour à la réalité a été brutal », note Cyrille Collet, chez CPR AM.

Une chute des marchés évolue généralement en trois phases. La première, en début de semaine, était liée à la peur de la pandémie. La deuxième, depuis jeudi, correspond à « l’accélération de la baisse car les stratégies systématiques, dites ‘momentum’, c’est-à-dire qui suivent le mouvement, enfoncent le clou ». La phase 3 dans laquelle « les rachats dans les fonds – classiques ou hedge funds – provoquent des ventes et du débouclage de positions ‘leveragées’ » n’a pas encore réellement commencé.

Le mouvement de vendredi est davantage lié à l’attentisme des gérants le dernier jour ouvré du mois, qu’à un début d’emballement. « Le risque est réel mais on verra seulement en début de semaine prochaine si on entre dans cette troisième phase. »

2 Quelles sont les forces de rappel ?

« Historiquement, tous les ans le S&P 500 baisse d’au moins 10 % à un moment donné. 2019 était une exception », rappelle Wilfrid Galand, chez Montpensier Finance. Si l’incapacité des marchés à rebondir après des baisses quotidiennes de 3 à 4 % montre bien que l’affaire est sérieuse, les investisseurs pourraient toutefois revenir après quelques semaines passées à naviguer à vue.

Les taux ne cessant de baisser avec la détérioration du scénario macroéconomique, ils pourraient être à nouveau attirés par le seul marché offrant du rendement : celui des actions. Une fois les mauvaises nouvelles intégrées dans les cours, le phénomène TINA – « there is no alternative» -, bien connu des marchés, prendrait alors le pas sur les craintes de détérioration.

3 Quel impact sur les résultats des entreprises ?

Le problème est qu’à l’heure actuelle les investisseurs n’ont aucune idée de l’impact de l’épidémie sur les comptes des entreprises. Celles-ci ont commencé à communiquer, mais elles ont elles-mêmes du mal à évaluer l’ampleur des dégâts, liée à la durée de l’épidémie.

En attendant, Goldman Sachs a déjà revu ses perspectives pour les profits des entreprises américaines. Les prévisions de croissance des résultats pour 2020 ont été ramenées à 0 % et à 6 % pour 2021, alors que le consensus des analystes mise encore sur des progressions de 7 % cette année et de 11 % l’année prochaine. Ces changements « reflètent le déclin marqué de l’activité économique en Chine au premier trimestre, la baisse de la demande adressée aux exportateurs américains, les perturbations dans la chaîne de valeur de beaucoup de sociétés américaines et un niveau d’incertitude élevé », explique la banque dans une note.

4 Les entreprises vont-elles avoir du mal à se financer ?

« A de rares exceptions près, la débâcle boursière ne devrait pas avoir de conséquences sur les financements bancaires confirmés des entreprises », explique Jérôme Guttieres, de l’Association française des trésoriers d’entreprises. En revanche, la situation est potentiellement plus problématique pour les entreprises se finançant sur le marché obligataire. Celui-ci n’a pas échappé au mouvement de défiance. « Pour certaines sociétés très exposées à la Chine ou pour certains secteurs, comme le luxe, le tourisme, les investisseurs sont clairement vendeurs d’obligations », témoigne un banquier.

Conséquence, sur le marché secondaire, les « spreads » – la prime qu’ils demandent pour prêter à une entreprise plutôt qu’a un Etat – ont bondi de 10 points de base en une semaine pour les emprunteurs notés BBB (cran inférieur de la catégorie « bien notée »). Le coût des CDS, une protection contre le défaut d’une entreprise bien notée, a flambé de 13 points de base. Le marché primaire, pour sa part, est complètement fermé. Il n’y a pas eu d’émission significative d’entreprises depuis mardi. « Pour qu’elles reprennent, il faudrait au moins trois jours d’accalmie, explique le banquier. Le problème est qu’on ne voit actuellement pas quand l’épidémie va s’arrêter. »

5 Que peuvent faire les banques centrales ?

C’est devenu un réflexe. Face aux incertitudes provoquées par l’épidémie les marchés se tournent vers les banques centrales. Ils espèrent de nouvelles mesures de soutien à l’économie, notamment pour aider les entreprises à surmonter la crise.

Outre-Atlantique, les traders s’attendent désormais à une baisse des taux de la Réserve fédérale dès sa prochaine réunion, le 18 mars prochain et trois autres cette année. Jerome Powell, président de la Fed, a déclaré dans un communiqué vendredi soir que « le coronavirus constituait un risque grandissant pour l’économie » et que la banque centrale utiliserait tous ses outils « pour soutenir l’économie de façon appropriée ».

Du côté de la Banque centrale européenne, on temporise. Jens Weidmann, le patron de la Bundesbank a reconnu vendredi que l’épidémie de coronavirus pourrait ralentir l’économie allemande, mais aucune action immédiate n’est prévue. La veille, Christine Lagarde, présidente de la BCE, avait estimé qu’il était trop tôt pour voir si les difficultés actuelles allaient peser sur l’inflation.

6 Le coût du risque va-t-il bondir pour les banques ?

La correction est boursière sévère pour les banques. Sur la semaine, BNP Paribas, Société Générale, CASA et Natixis ont accusé une baisse comprise entre 15 et 18 %, soit davantage que le CAC 40. Les investisseurs s’inquiètent des conséquences d’un ralentissement économique mondial sur l’activité des banques. Celles-ci estiment néanmoins que les marchés surréagissent. « A ce stade, il est très prématuré de mesurer l’impact de l’épidémie sur notre activité », commente un dirigeant. Qui reconnaît toutefois qu’il faudra « surveiller l’évolution du coût du risque » dans les semaines à venir.

Il pourrait en effet augmenter, compte tenu du risque plus élevé de défaillances d’entreprises et donc d’impayés. Cette hausse aurait un impact direct sur les résultats financiers. « On surveille de près les entreprises les plus endettées ; elles sont les plus sensibles en cas de trou d’air économique », commente un autre banquier. Historiquement bas ces dernières années, le coût du risque avait commencé à remonter en fin d’année dernière, pour retrouver un niveau « plus normal » selon les banques.

7 Vers quels actifs les investisseurs se replient-ils ?

C’est un classique des crises. Les investisseurs se précipitent sur des actifs tels que les obligations des Etats jugées les plus sûrs. Mais ce qui est inédit, c’est que cette frénésie acheteuse a précipité le taux des emprunts d’Etat américain à 10 ans à des plus bas historiques.

La forte demande a en effet envoyé à la hausse le prix de ces emprunts d’Etat. Or, quand la valeur d’une obligation monte, son taux baisse. Vendredi, le rendement américain à 10 ans a perdu plus de 10 points de base, passant pour la première fois sous 1,15 %. En Europe, le taux allemand à 10 ans, qui fait figure de référence, évoluait à -0,60 %, son plus bas niveau depuis septembre.

8 Pourquoi l’or, valeur refuge, a-t-il décroché vendredi ?

Alors que le métal jaune flambait depuis le début de la semaine, vendredi la tendance s’est brutalement inversée . Sur fond de déroute générale des indices boursiers, l’or a perdu jusqu’à 4,5 % en séance sous la barre des 1.600 dollars l’once, du jamais-vu depuis 2013.

La raison ? Les traders ont sans doute vendu de l’or pour couvrir des pertes enregistrées sur d’autres actifs ou pour répondre à des appels de marge. Explication : tous les jours, les traders déposent des titres en garantie pour effectuer leurs transactions financières. Quand la valeur des titres chute, un appel de fonds est exigé. Pour y répondre, dans des situations très agitées, il faut trouver du cash rapidement et donc céder en urgence ses actifs sûrs.

Source : LES ÉCHOS – Sophie Rolland, Guillaume Benoit, Romain Gueugneau, Étienne Goetz