Article : Les industriels se préparent au « psychodrachme » par l’Usine Nouvelle

Les industriels se préparent au « psychodrachme »

La Grèce pourrait sortir de l’euro ? L’hypothèse n’est plus un tabou. Les entreprises commencent à prendre des mesures pour limiter la casse.

Espère le meilleur, mais prépare-toi au pire », dit le proverbe anglais. En somme, c’est ainsi que les entreprises françaises envisagent les difficultés du marché grec. Hypothèse farfelue l’année dernière, l’abandon de l’euro par la Grèce a rejoint ces dernières semaines le champ des possibles. Les économistes de la Coface, le spécialiste de l’assurance-crédit, estiment à près d’une chance sur deux que cela se produise. Plus pessimiste, le pronostic de la banque américaine Citigroup atteint 75%.

Pour l’heure, les entreprises préfèrent afficher leur confiance dans la résolution de la crise grecque. « Nous suivons attentivement les évolutions de la zone euro, mais nous ne travaillons pas sur un plan alternatif », assure Gilles Bogaert, le directeur général adjoint chargé des finances du groupe Pernod-Ricard, qui est implanté à Mytilène, sur l’île de Lesbos, et au Pirée. Le groupe se présente comme le numéro deux local des boissons alcoolisées. Mais cettte assurance n’est qu’une façade. « La question de la Grèce revient systématiquement dès que nous voyons nos clients », confie Marc Boutin, le directeur corporate du marché des entreprises de la banque HSBC. Comment se faire payer ? Quel niveau d’activité maintenir ? Quelles répercussions sur la zone euro ? Les questions s’enchaînent dans le secret des directions financières des grands groupes. « Aucune entreprise ne peut penser qu’il n’y a pas de risque que les créances et les actifs immobilisés soient transformés en drachme, constate Marc Duchevet, l’associé chargé des business risk services chez Grant Thornton, un cabinet d’expertise comptable. Les entreprises exposées en Grèce n’ont toutefois pas beaucoup de solution de repli. » À part l’attentisme, notamment jusqu’aux élections législatives du 17 juin.

Le gel des investissements est la première initiative mise en oeuvre. « Les entreprises ont déjà pris des mesures pour réduire la voilure », assure Gilbert Canameras, le président de l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (Amrae), et directeur des financements d’Eramet. Le flux d’investissements directs français est passé de près de 2 milliards d’euros en 2007 à 570 millions en 2010. Surtout, par crainte des impayés, les industriels ont largement levé le pied sur leurs échanges commerciaux avec la Grèce. « Il n’est plus possible de faire crédit à un client grec sans sécuriser l’opération avec sa banque », explique Valérie Collot, la présidente de l’Association française des credit managers et conseils (AFDCC), également credit manager d’un groupe industriel. Beaucoup d’industriels ont ainsi décidé de ne plus accorder de délais de paiement à leurs clients. « Et pour les montants peu importants, il faut demander le paiement à la livraison », ajoute Valérie Collot. Quant aux créances en souffrance, il ne reste plus qu’à croiser les doigts… D’autant que le recours à l’assurance-crédit ne fonctionne plus vraiment. L’association des risk managers avait dû négocier avec la Coface, dès le mois d’octobre 2011, pour qu’elle continue à couvrir ses clients, ce qu’elle accepte de faire au cas par cas. Euler Hermès, de son côté, a annoncé fin mai l’arrêt de ses activités de couverture des nouveaux contrats avec les entreprises grecques. « Du fait de la réduction de leurs assurances-crédit, les sociétés françaises sont obligées de revoir leurs encours avec la Grèce », résume Gilbert Canameras. C’est le cas de l’industrie pharmaceutique (Sanofi, Biomérieux, Fabre et Servier), qui a réduit de 17,9% ses exportations l’an passé, en partie à cause des difficultés de paiement rencontrées par les hôpitaux.

Gare à la contagion

Nuno Fernandes, professeur de finances à l’IMD Business school de Lausanne (Suisse), recommande des mesures plus drastiques. « Vous devez vous préparer à financer vos opérations pour les douze prochains mois, sans accès au crédit bancaire ou au marché obligataire », assène-t-il. Au besoin en vendant des activités connexes. Il préconise aussi aux entreprises de gérer la maturité de leurs dettes, afin d’être capable de faire face aux prochaines échéances. Et l’entreprise ne doit pas se limiter à son périmètre. « Le risk manager doit aussi regarder si son fournisseur ou son client ne risque pas d’être victime d’un credit crunch {pre}{/pre} un défaut de crédit, ndlr&?{/pre} », rappelle Gilbert Canameras.

Enfin, l’impact d’un retour de la drachme ne se limiterait pas aux activités en Grèce. C’est peut-être ce qui inquiète le plus les dirigeants d’entreprise. Les pertes que subiraient les banques, notamment les françaises exposées pour près de 38 milliards d’euros à la dette des entreprises locales, pourraient les conduire à réduire l’activité de crédit. La crise grecque pèse aussi sur la parité euro-dollar. Fin mai, la monnaie unique s’échangeait à 1,23 dollar, contre 1,32 en début de mois. Et des analystes prédisent une poursuite de la chute. « Nous avons une couverture naturelle de notre dette sur le dollar, donc quand l’euro baisse, notre dette s’alourdit, remarque Gilles Bogaert. Même si cela est plus que compensé par la hausse de nos profits opérationnels. » Et la contagion à d’autres pays en difficulté ? « Ce n’est pas le marché grec en lui-même qui inquiète les entreprises, car les volumes sont assez faibles », confirme Marc Boutin. Mais il ne faudrait pas que l’Italie ou l’Espagne, deux gros marchés pour les industriels français, soient atteints par le syndrome grec…

Par ARNAUD DUMAS
Publié le 07 juin 2012 | L’Usine Nouvelle n°3289