Malgré les mesures de soutien de l’Etat, qui sont opérationnelles au fur et à mesure, nombre de dirigeants s’inquiètent pour le paiement de leurs charges courantes. Pour tenir le choc pendant trois mois, période espérée pour sortir de la crise due au Covid-19, les PME doivent maintenir leur trésorerie à flot. Le cash est redevenu l’obsession des patrons.

Passer le cap de la crise du coronavirus. Faire le dos rond, tenir pendant trois mois, pour éviter le dépôt de bilan. Voilà le leitmotiv que tous les patrons de TPE et PME ont en tête aujourd’hui. « C’est le grand retour du ‘cash is king’ [l’argent est roi], la trésorerie est redevenue le nerf de la guerre », assène Olivier Catonnet, associé chez EY.

Même si l’épidémie a frappé en mars des entreprises plutôt en bonne santé financière, portée par une conjoncture économique au vert, « la trésorerie peut se dégrader très vite », prévient Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit à la Banque de France.

Sonnées par l’arrêt brutal de leurs activités depuis une dizaine de jours, sauf pour les secteurs dits « essentiels », les entreprises sont confrontées à une double peine dans le court terme : la disparition des rentrées d’argent mais la poursuite des dépenses. « Il faut payer les salaires de la première quinzaine de mars, entretenir les bâtiments et les machines, payer les loyers même si des reports sont prévus, régler les factures des opérateurs télécoms, des assurances, payer ses fournisseurs, payer les stocks qui ne s’écoulent pas… », égrène Bénédicte Caron, vice-présidente des affaires économiques à la CPME, la Confédération de petites et moyennes entreprises. Bref, assurer la survie quotidienne d’une entreprise qui n’a pas mis la clé sous la porte, mais reste en pause.

Procédures longues

Pour tenir, les entreprises ont largement commencé à puiser dans la gamme des aides annoncées mi-mars par l’Etat pour soutenir les plus affectées par le Covid-19. Pour alléger la masse salariale, elles se sont massivement tournées vers les mesures de chômage partiel , puis ont actionné les reports de paiements des charges sociales et fiscales (Urssaf, impôt…), demandé des reports de loyers et sollicité auprès de leurs banques des reports de crédits bancaires sur six mois.

« Ce sont de très bonnes mesures mais elles ne couvrent pas tout, il reste la TVA à payer par exemple, et puis les procédures sont parfois longues et compliquées pour des petites artisans

ou commerçants, comme l’accès au chômage partiel ou aux prêts bancaires », fait remarquer Bénédicte Caron. Le chômage partiel, notamment, est dans le viseur de la CPME, qui évoque des cas de plus en plus nombreux de refus de l’administration et de difficultés techniques pour accéder à la plateforme de saisie des demandes. Mercredi, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a fait état de 100.000 entreprises concernées (et 1,2 million de salariés).

Délais de paiement

Autre difficulté qui enfle : les tensions sur le règlement des factures, qui fragilisent encore plus la trésorerie des entreprises. Les témoignages affluent sur le bureau du médiateur des entreprises de grands groupes renâclant à payer dans les temps leurs fournisseurs. Interrogé jeudi 26 mars, Pierre Pelouzet, le médiateur national, comptabilisait « une flambée des dossiers avec 150 saisines sur les sept derniers jours, soit l’équivalent d’un mois et demi avant la crise du coronavirus, et 400 questions dont une partie se transformera en saisine ».

Saisis du problème, Bercy et le gouverneur de la Banque de France ont mis en place mardi un comité de crise , qui réunit les fédérations d’entreprises (Medef, CPME, U2P…), le médiateur des entreprises et le médiateur du crédit. Car la dégradation des délais de paiement serait catastrophique. Le crédit interentreprises représente le premier poste de trésorerie des entreprises. « Il pèse 672 milliards d’euros, c’est trois fois le financement bancaire », rappelle Pierre Pelouzet. Pour répondre à l’affluence des dossiers, la médiation des entreprises va renforcer le recours aux médiateurs nationaux (anciens juges consulaires, ex-chefs d’entreprise…), une trentaine aujourd’hui, pour renforcer le travail des Dirrecte en régions, très sollicitées par ailleurs.

PME, les mesures de soutien de l’Etat

Chômage partiel : largement ouvert par le gouvernement (mais sous certaines conditions), il indemnise un salarié à hauteur de 70 % du salaire brut et 84 % du salaire net, avec une contribution de l’Etat à 100 % de cette indemnisation dans la limite de 4,5 SMIC.

Report des charges sociales et fiscales

Factures courantes : le gouvernement a annoncé une suspension du paiement des factures d’eau, de gaz, d’électricité et de loyers, au cas par cas.

Prêts de trésorerie par les banques : depuis mercredi 25 mars, les entreprises peuvent solliciter auprès de leur banquier un prêt garanti par l’Etat (PGE). C’est un prêt de trésorerie d’un an, qui pourra couvrir jusqu’à trois mois de chiffre d’affaires, soit un quart du chiffre d’affaires annuel, à un taux d’intérêt bas.

Pour tenir, les entreprises peuvent obtenir depuis mercredi auprès de leur banque des prêts de trésorerie, les prêts garantis par l’Etat (PGE), dont le remboursement ne se fera pas avant un an. L’enveloppe totale, de 300 milliards d’euros, annoncée par Emmanuel Macron le 16 mars, doit permettre à toutes les entreprises, micro-entrepreneurs, professions libérales (à l’exception de celles épinglées pour défaut de respect des délais de paiement) de faire face à la crise pendant trois mois. La démarche est simplifiée : le dirigeant doit déposer un dossier auprès de son banquier, puis, après son accord, se rendre sur la plateforme dédiée de bpifrance pour obtenir un numéro d’identification unique, et retourner ensuite vers son banquier qui décaissera le crédit. Là encore, la patience sera de mise. « Là où les banques traitent dix dossiers par jour, elles vont se retrouver face à un afflux massif de demandes simultanées, il faut donc envisager un engorgement dans les premiers temps », prévient Frédéric Visnovsky, médiateur du crédit. « Nous avons accordé plusieurs reports de crédit sur six mois depuis la semaine dernière pour des coiffeurs, des restaurants, mais pour les prêts bancaires, c’est trop tôt, les dirigeants n’ont pas de visibilité, il faut qu’ils évaluent leurs besoins de trésorerie », témoigne une banquière en région.

Même s’ils sont pris dans la spirale du quotidien, les patrons doivent anticiper la sortie de crise. « Le rebond se prépare maintenant : il faut communiquer sur sa gestion de la crise avec ses partenaires (salariés, banques, actionnaires, fournisseurs) et réfléchir à plusieurs scénarios de sortie », explique Guillaume Cornu, associé chez EY. Le consultant évoque les « cas drastiques » qui pourront sauver l’entreprise pour « l’après » : recours rapide aux procédures collectives de prévention , voire dépôt de bilan d’une filiale. « Le choc est plus immédiat et violent que lors de la crise financière de 2008 car il touche l’économie réelle, mais plus les entreprises conserveront une activité, même partielle, plus elles redémarreront rapidement », pronostique Frédéric Visnovsky.

Avocats, experts-comptables, juges consulaires… des numéros verts pour optimiser les conseils

Les experts-comptables franciliens ont mis en place depuis mercredi 25 mars un numéro vert gratuit : 0 800 06 54 32. Accessible jusqu’au mercredi 1er avril 2020 inclus, de 9 heures à 13 heures et de 14 heures à 18 heures (hors week-end).

Le Conseil national des barreaux a lancé mardi 24 mars (jusqu’au 6 avril) l’opération « avocats solidaires » sur tout le territoire. Après s’être connecté à la plateforme avocat.fr pour prendre rendez-vous, un avocat rappelle dans les 24 heures pour une conversation téléphonique de 30 minutes gratuite.

Les administrateurs et mandataires judiciaires, avec le ministère de l’Economie et des Finances, ont mis en place depuis lundi 23 mars un numéro vert gratuit (0 800 94 25 64) du lundi au vendredi, de 10 heures à 17 heures pour accompagner les dirigeants sur les mesures de soutien (report des charges fiscales et sociales, prêts bancaires, etc).

Source : Les Échos – Marion Kindermans