Médiateur national du Crédit ; Président de l’observatoire du financement des entreprises (OFE) ; vice-président de l’observatoire des délais de paiement ; et aussi membre du Conseil plénier de résolution unique (CRU) ; membre du Groupe Resolution du Financial Stability Board (FSB) ; secrétaire général du Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières (CCLRF)

 

Réalisée pour FONCTION CREDIT, Magazine de l’AFDCC, par Jérémie YAO et Eric SCHERER le 26 Juillet 2022

Jérémie YAO :

Rédacteur en chef de FONCTION CREDIT Magazine ; Credit manager ; Directeur commercial et projets de MY DSO Manager.

Eric SCHERER :

Membre du comité de rédaction de FONCTION CREDIT Magazine ; past-Président AFDCC, Credit manager

 

Quelles sont vos différentes missions et comment s’imbriquent-elles les unes aux autres ?

Il y a une logique qui apparaît d’autant plus en période de crise dans mes différentes missions principales : j’ai été nommé il y a 4 ans le médiateur national du crédit. La médiation du crédit est une mission qui est assurée depuis sa création par la Banque de France dans les régions mais le médiateur national a été rattaché à la Banque de France en 2018 lorsque j’ai été nommé à ce poste. La Médiation du crédit a été mise en place avec la crise de 2008 pour accompagner les entreprises à entrer en médiation avec les banques, tout comme avec les assureurs crédit, lorsqu’elles connaissent des difficultés d’accès au financement. La relation avec les délais de paiement est évidente notamment lorsqu’on parle financement des entreprises, surtout en période de crise, c’est pourquoi ma seconde mission est d’être vice-président de l’Observatoire des délais de paiement. Nous avons d’ailleurs, avec le médiateur des entreprises – qui a la charge de favoriser la médiation entre les entreprises et leurs donneurs d’ordres privés et publics – fait évoluer le comité de crise, que nous animions ensemble au pic de la crise de 2020 avec la COVID, pour le transformer en comité d’action pour les approvisionnements et les conditions de paiement. Cette fonction de vice-président de l’Observatoire des délais de paiement est d’autant plus importante depuis cette année du fait que les retards de paiement sont intégrés dans la cotation BDF (Banque de France) des entreprises. Ma troisième mission principale est celle de Président de l’observatoire du financement des entreprises. Entre 2010 et 2011, les pouvoirs publics ont constaté qu’existaient des insuffisances dans les outils d’analyse de la situation des entreprises, notamment les TPE et PME : d’où la création de cet observatoire que préside le Médiateur National du Crédit. Il n’est pas formellement rattaché à la Banque de France mais en utilise les moyens tout comme ceux des membres de l’observatoire qui représentent tout l’éco système concerné par les entreprises et leur financement. Il y a donc une cohérence très forte entre mes différentes missions principales.

 

Pourriez-vous nous décrire une journée type du médiateur du crédit ?

Mon rôle dans la Médiation du crédit est d’être un animateur et un relais notamment entre les attentes des pouvoirs publics et les actions opérationnelles à déployer au sein du réseau des médiateurs. Les entreprises qui sollicitent la Médiation du crédit sont en général des TPE et elles le font directement en ligne. L’information est transmise directement dans la succursale BDF la plus proche du siège de l’entreprise, ou auprès des agences en Outre-Mer. La connaissance du terrain localement est importante. Mon rôle est d’animer ce réseau, de venir en appui si des difficultés particulières apparaissent, de maintenir les bonnes pratiques en transmettant la jurisprudence de cette fonction. L’analyse des retours du terrain est également fondamentale pour assurer une veille dans ce domaine. On est ainsi intervenu pour proposer la mise en place les plans de restructuration des PGE dans le cadre de la médiation et répondre ainsi aux besoins de certaines entreprises, notamment les plus petites pour lesquelles une procédures judiciaires n’est pas nécessairement la plus appropriée. Le réseau de la Banque de France a aussi été les premiers à avoir connaissance des difficultés que les entreprises rencontraient pour recruter, ou encore pour s’approvisionner. C’est grâce à cette interface entre le terrain, via les succursales départementales de la BDF, les médiateurs de terrain, les informations obtenues par les divers observatoires, les enquêtes mensuelles de conjoncture réalisées par la Banque de France auprès de 8500 entreprises, les conseillers qui sont des chefs d’entreprises et qui participent au sein de nos succursales à remonter les données du terrain… et son analyse, que le médiateur du crédit est en mesure de participer aux remontées au Gouverneur et à Bercy et apporter davantage de visibilité sur l’activité économique et jouer ainsi le lanceur d’alerte auprès des pouvoirs publics. Ce sont tous ces capteurs qui lui permettent de jouer son rôle d’animation et d’insuffler les actions qui sont mises en place par les médiateurs au plus près des entreprises sur le terrain.

Pour l’Observatoire du financement des entreprises, nous produisons chaque année un rapport, voire davantage si le gouvernement nous le demande. C’est ainsi qu’on a établi un rapport sur les fonds propres des entreprises, ou sur le défi que représente l’investissement pour elles dans la conjoncture actuelle. Nous préparons un nouveau rapport sur la situation des entreprises lors des crises de la COVID et des conséquences de la guerre en Ukraine. Nous nous réunissons chaque mois et échangeons à partir des analyses réalisées par les différents membres ou des experts externes que l’on sollicite.

Pour l’Observatoire des délais de paiement, l’approche sous la présidence de Jeanne-Marie PROST est un peu différente : il s’agit de produire un rapport annuel et d’agréger des données venant de différentes sources – comptabilité publique, DGCCRF, Etudes réalisées par ALTARES et celles d’autres observateurs – pour en réaliser une analyse approfondie sur une situation passée. Mon rôle en tant que vice-président est de renforcer ce rôle d’observation en apportant des observations actualisées et une analyse davantage prospective, qui colle mieux au ressenti des entreprises dans le moment présent.

De manière générale, quelle vision avez-vous de la conjoncture économique actuelle et quel est votre niveau d’inquiétude pour les mois à venir ? Peut-on encore être optimiste ?

Je ne parlerai pas d’inquiétude, ce qui serait anxiogène pour vos lecteurs, mais de niveau de vigilance. La politique du « quoi qu’il en coûte » a produit ses effets au niveau des ménages et au niveau des entreprises. A la fin de l’année 2021, les entreprises bénéficiaient d’une situation favorable avec des trésoreries abondantes. Ensuite, le dispositif de sortie de crise a été mis en place. On constate qu’il a été peu utilisé et les entreprises qui ont bénéficié des aides pendant la période COVID ont reconstitué leurs marges, avec un endettement global qui s’est accru mais un endettement net qui reste contenu. On constate ainsi que les défaillances d’entreprises restent à un niveau faible, même si elles progressent sans atteindre toutefois le niveau d’avant crise. En revanche, on note la progression des radiations d’entreprises qui montre que ceux qui sont en difficulté cessent leur activité sans passer par la résolution judiciaire. Mais, les créations d’entreprises se situent à un niveau satisfaisant, tout comme la situation de l’emploi qui progresse. Bien évidemment, ces observations globales ne doivent pas faire oublier les difficultés réelles de certains secteurs d’activité et de certaines entreprises, d’où cette notion de vigilance.

La période de reprise qui a suivi la crise COVID a été marquée par des tendances inflationnistes, attisées par la crise ukrainienne. Le contexte post COVID est différent du contexte antérieur lors de la crise car le partage des efforts à faire ne sera pas le même : lors du COVID, l’Etat a pris en charge l’essentiel des efforts à réaliser pour traverser cette période afin de soutenir les ménages et les entreprises. On le constate avec la progression du taux d’épargne des ménages, ou la reconstitution des marges des entreprises. La période inflationniste actuelle est différente et l’Etat agit de manière différente avec des aides spécifiques pour le pouvoir d’achat, ou avec du soutien ciblé aux entreprises : les ménages et les entreprises devront désormais prendre en charge une partie des conséquences de l’inflation. Les entreprises devront mobiliser un peu de leurs marges pour absorber les progressions de prix. On estime que l’impact sur la marge des entreprises de la crise énergétique et inflationniste actuelle ne devrait pas être aussi important que lors de la crise énergétique des années 1970. La question qui me préoccupe plus aujourd’hui est celle de l’impact de l’inflation sur le BFR des entreprises. Pour l’instant, on ne constate pas de difficultés lorsque les entreprises cherchent à obtenir des financements ! Le niveau d’investissements n’a pas trop souffert de la crise et la baisse constatée en 2020 correspond à celle du PIB ! La volonté des chefs d’entreprise dans cette période de crise est donc encore de poursuivre leurs investissements et leurs financements via le crédit bancaire.

C’est pourquoi, il convient de parler de vigilance lorsqu’on envisage la situation économique future de notre pays. Il faut rester attentif à l’évolution de la « spirale infernale inflation sur les prix/salaires », avec un risque de dérapage des prix et de dérapage des salaires. Les conditions de sortie de crise étaient favorables aux entreprises mais la croissance est aujourd’hui limitée par l’inflation, les pénuries et la crise en Ukraine. Les TPE ont été accompagnées lors de la période COVID, mais il ne faut pas oublier que des secteurs économiques entiers ont été sinistrés avec de grosses difficultés pour se relever et évoluer.

En résumé, on peut dire qu’en France, du côté des entreprises, il y a eu une bonne gestion de la crise COVID, une bonne sortie de crise et maintenant, avec cette nouvelle crise, une vigilance accrue. Notre prochain rapport de l’Observatoire sera consacré aux points de vigilance à observer dans le contexte actuel, sachant qu’il faut également prendre en compte la transition énergétique à venir, la transition numérique déjà engagée. Les tensions sur les retards de paiement qui nous remontent et qui sont déjà vécues par les entreprises rajoutent une nouvelle zone d’incertitude.

Quelle est l’attitude des banques dans cette conjoncture au moment où elles vont publier leurs résultats du premier semestre 2022 ?

Aujourd’hui il n’y a pas d’indicateurs qui signalent une dégradation de leur situation, les banques sont solides. Certes, on constate une tendance à la dégradation des retards de paiement mais les statistiques d’accès au crédit sont encore meilleures qu’avant la période COVID. Par ailleurs, les banques n’ont pas encore repris beaucoup des provisions qu’elles avaient constituées à cette époque. Elles disposent donc d’un matelas qu’elles pourront réaffecter au besoin selon le scénario à venir. Au niveau macro-économique, les perspectives se sont détériorées, mais a priori, le risque accru devrait se retrouver dans la pratique des taux sans trop pénaliser la croissance.

Est-ce que les provisions des banques sont suffisantes ?

Le taux des défaillances d’entreprises progresse sans toutefois se situer aux niveaux élevés qu’on a connus antérieurement, la croissance est moins forte qu’espérée mais nous sommes toujours en croissance : il n’y a donc rien de catastrophique, la situation actuelle est moins favorable que celle que nous attendions. Au niveau de la BDF, nous allons revoir prochainement nos prévisions concernant le remboursement des PGE pour prendre en compte la crise Ukrainienne mais les banques sont tout à fait correctement provisionnées et on peut s’attendre à ce que leur politique prudente de provisionnement se constate dans les comptes du 1er semestre 2022.

Au sujet de la cotation BDF votre système a évolué avec un nouveau barème. Est-ce que la cotation reflète véritablement ce que sont les entreprises ?

Nous avons retardé la cotation des entreprises en 2020 car nous n’avions pas de visibilité sur l’activité réelle des entreprises. Mais nous avons corrigé cette situation exceptionnelle et les cotations ont repris normalement en 2021 et cette année avec notre nouvelle cotation qui est plus fine. On est passé de 13 niveaux à 22 niveaux de cotation, ce qui correspond aux standards internationaux. Désormais, on dispose de 2 à 3 niveaux dans une cote ce qui permet une meilleure gradation du tissu des entreprises. Cette nouvelle cotation ne change rien pour les entreprises, seulement une appréciation plus fine de leur situation et de leur évolution à 3 ans.

C’est plus compliqué pour les banques ?

Non, car les banques ont leurs propres systèmes de cotation et de mesure des risques. Notre nouvelle cotation se rapproche un peu plus des cotations internes des banques avec une ventilation plus fine des niveaux d’appréciation. Au niveau global, avant la crise on constatait que 20% des entreprises cotées BDF connaissaient une dégradation de leur situation et 20% une amélioration. La situation globale des entreprises en 2021 semble montrer une répartition un peu meilleure mais nous n’avons pas encore fini la campagne des cotations sur cette période. L’évolution de notre cotation montre justement cette perception globale plutôt positive du tissu des entreprises.

On peut dire qu’il y a des signaux encourageants dans l’observation du tissu des entreprises malgré un contexte morose. La campagne de cotation de 2020 s’est faite sur de bons bilans 2019 des entreprises dans une situation économique avec des perspectives très incertaines en plein COVID mais des espoirs de reprise (ce que l’on a effectivement constaté en 2021) ; celle de 2022 se fait sur de bons bilans 2021, mais avec une situation économique et des perspectives moins favorables. Notre cotation globale se construit sur des perspectives à 3 ans et on reste prudent dans la configuration actuelle.

La Cour des comptes a demandé à la BDF de surveiller la situation de trésorerie des entreprises. Qu’en est-il ?

On a devancé cette demande de la Cour des comptes et on collecte déjà auprès des grands réseaux bancaires le montant des dépôts et le montant des crédits. On a ainsi une vision globale des trésoreries. En 2020, l’endettement global avait progressé de 220 milliards d’euros et les trésoreries de 204 milliards d’euros. Cette information est aussi disponible désormais entreprise par entreprise, ce qui renforce nos outils d’analyse des entreprises et de détection des fragilités.

Quel est le réel impact des taux négatifs et qu’en est-il des entreprises « zombies » ?

Les taux négatifs c’était une situation anormale. On revient maintenant à une situation normale de l’économie. Les entreprises « zombies », c’est un concept chers aux économistes, il n’existe pas de véritable mesure de ce phénomène. Il est vrai que des entreprises mal en point ont pu bénéficier des aides de l’Etat pendant la crise COVID, mais elles n’ont pas réussi à obtenir de PGE. Les banques n’avaient aucun intérêt à prêter à ces entreprises et engager la responsabilité de l’Etat. Je crois que le sujet des entreprises « zombies » est epsilonesque. Ce n’est pas le sujet, le vrai sujet est d’apporter aux entreprises des solutions.

Est-ce qu’on ne peut pas redouter dans cette période d’argent quasi gratuit un phénomène de « Crédit crunch » ?

Il y a 2 sujets différents : celui des ménages qui s’endettent à taux fixes et celui des entreprises.  Pour les ménages, il y a un problème avec le taux d’usure du fait d’un taux de base excessivement bas : c’est un problème de décalage dans le temps entre la mesure du taux et son application, le taux d’usure étant fixé à l’avance. Le taux de découvert pour les entreprises augmente car il suit l’évolution du marché. Mais, sur ces sujets, nous restons dans une pratique générale de taux bas. Même si vous obtenez un financement à 3%, ce qui représente une importante augmentation par rapport aux taux pratiqués antérieurement, il faut se souvenir que l’inflation est actuellement à 6%. En réalité, le taux réel est négatif. Le sujet des taux va peser sur les entreprises c’est certain et les grandes entreprises et certaines PME qui se financent sur le marché vont devoir se financer à des taux plus élevés sans toutefois supporter des taux comparables à ceux de l’inflation. L’impact de l’inflation des taux financiers sur les entreprises reste donc marginal. Le vrai problème c’est le remboursement du capital et le financement du nominal et on peut redouter que l’équilibrage du BFR ne se fasse encore par l’allongement des délais de paiement. L’accès au crédit reste l’enjeu majeur, les variations de taux demeurent accessoires.

D’après une étude publiée par INTRUM, les retards de paiement seraient passés de 12 jours à fin 2021 à 17 jours actuellement.

Je n’ai pas connaissance de ce chiffrage et ai demandé à ALTARES de pouvoir disposer d’informations fraiches dans ce domaine. Je suis donc un peu étonné par l’importance de cette dégradation.

Est-ce que le rapport de force entre les grandes entreprises et les plus petites existent toujours autant ? Qu’en est-il des paiements du secteur public ?

Sur ces sujets je n’ai pas de données plus fraiches que celles du dernier rapport de l’Observatoire des délais de paiement. La DGCCRF sanctionne les rapports de force lorsqu’elle peut constater les infractions. C’est un moyen dissuasif même si on pourrait s’interroger sur le niveau des amendes qui est sans doute trop faible pour jouer véritablement un rôle dissuasif. Le fait d’intégrer dans la cotation BDF une dégradation lorsqu’existent des retards de paiement contribue aussi à cette dissuasion des mauvais comportements payeurs. Pour le secteur public, les dernières données sont celles publiées dans le rapport de l’Observatoire. On peut noter que ce secteur progresse encore. On voit bien toute l’importance de pouvoir disposer d’indicateurs qui permettent de suivre les évolutions dans le temps plus rapidement. La préoccupation actuelle est certainement celle de l’impact de l’inflation sur le BFR des entreprises.

Les pays du Nord de l’Europe ont de meilleures pratiques en matière de délais de paiement que celles des pays du Sud de l’Europe, dont la France. Est-ce qu’on peut l’expliquer ?

Oui c’est exact si on observe les pratiques allemandes et néerlandaises. C’est un mystère pour moi aussi : sans doute un comportement plus rigoureux ? Pierre PELOUZET disait qu’en France on n’hésite pas à partir en vacances en laissant sur le coin de la table un paquet de factures qui restent à payer ! Je crois que pour faire bouger les lignes dans ce domaine il faut que les amendes de la DGCCRF soient beaucoup plus dissuasives. Le « Name and Shame » a un petit effet dans l’instant mais personne ne s’en souvient l’année suivante. Si vous êtes une grande entreprise et devez débourser 2 millions d’euros d’amende pour infraction c’est finalement peu significatif. En revanche, si vous devriez débourser 10 ou 20 millions d’euros, alors ce serait significatif et peut être que les pratiques évolueraient. Les règles prudentielles européennes s’appliquent jusqu’à 10% du chiffre  d’affaires ! Sans doute la dégradation de la cotation BDF aura-t-elle aussi un impact assez puissant si cette dégradation vous ferme l’accès à certains financements par exemple !

Est-ce que vous avez identifié des secteurs d’activité dont les comportements payeurs sont mauvais ? Qu’en est-il de la pratique des pénalités de retard ?

Il y a 2 mesures qui ne marchent pas dans la loi actuelle : les pénalités de retard et le rapport des commissaires aux comptes. Ce n’est donc pas satisfaisant et c’est pourquoi il est important de renforcer la pression sur les mauvais payeurs. C’est pourquoi aussi nous avons conservé le comité de crise que nous avions mis en place au moment du COVID afin de pouvoir traiter des grands dérapages des retards de paiement. Le rapport de force est difficile à traiter car le petit fournisseur ne va pas s’amputer d’une grosse partie de son chiffre d’affaires en dénonçant son client. C’est assez incroyable : on a une loi, qui n’est pas respectée et on est obligé de déployer des outils complémentaires pour faire respecter la loi. Mais la DGCCRF n’a pas de moyens illimités ! La facture électronique obligatoire devrait permettre d’améliorer la situation.

Pourquoi lors des contrôles de la DGCCRF ne peut-on pas rendre obligatoire le paiement des pénalités de retard ?

Je n’ai pas la réponse, toujours une question de rapport de force j’imagine. Je crois personnellement aux vertus de la sanction financière. Celles qui sont appliquées actuellement, même si elles ont progressé, sont encore insuffisantes.

On assiste à une accélération du nombre des défaillances d’entreprises. On indique qu’en fin d’année elles pourraient être de l’ordre de 35 à 40 000 !

Il faut mettre en parallèle aux chiffres annoncés le nombre de créations d’entreprises qui reste dynamique. Il faudrait aussi prendre en compte les radiations pour mesurer de manière précise ce phénomène de destruction des entreprises. Dans les défaillances, il y a encore les entreprises très jeunes ou des TPE qui n’ont pas trouvé leur modèle économique ce qui a moins d’impact sur la destruction d’emplois. C’est un signe de dynamisme économique que de constater une mortalité des très jeunes entreprises : le business model n’était pas bon, ou le marché n’était pas là et l’effet négatif sur l’emploi demeure faible alors que si l’entreprise avait poursuivi son activité les conséquences seraient alors plus douloureuses. Sur ces chiffres, il y a besoin qu’une analyse précise soit réalisée. C’est un sujet que j’ai abordé avec le président du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce avec lequel je vais d’ailleurs signer une convention de partenariat en septembre. Il est important de bien identifier les catégories d’entreprise et les défaillances, avec ou sans les sauvegardes qui en principe ne sont pas encore des défaillances, les radiations, les créations. On doit pouvoir mesurer le stock réel d’entreprises vivantes et son évolution périodique, ainsi que l’évolution des emplois marchands. Plus le stock d’entreprises est élevé plus le nombre de défaillances en valeur absolue pourra d’ailleurs apparaître élevé.

D’après l’étude INTRUM 83% des entreprises accepteraient intentionnellement de retarder le paiement de leurs fournisseurs pour préserver leurs trésoreries et 77% d’accepter les retards des paiements clients pour préserver leurs relations commerciales.

Il ne s’agit que d’une opinion recueillie lors de cette enquête. Il faut toujours veiller à confirmer l’interprétation des opinions avec des mesures réelles. On avait indiqué il y a quelques années que les retards de paiement accroissaient de 25% le risque de défaillance et cela a été interprété en disant que 25% des défaillances venaient des retards de paiement ! Pour ma part, j’attends la parution des données réelles d’Altarès. Les enquêtes et les sondages sont intéressants pour signaler les tendances mais pas pour établir une statistique. Les chiffres de Sidetrade mai/juin 2022 signalent un début de dérive sur les délais de paiement. Passer de 12 jours de retard à 17 jours demande à être appuyé par une étude construite sur une observation chiffrée.

François ASSELIN Président de CPME signale aussi cette tendance à l’allongement des délais de paiement donc à un accroissement des retards de paiement.

Sa perception rejoint les inquiétudes que j’évoque. À ce stade, il faut analyser ce qui se passe, donc disposer de données réelles qui viennent ou non confirmer ces informations. Nous sommes à un stade de grande vigilance sur le sujet : les chiffres Sidetrade montrent la dégradation qui s’amorce, les déclarations récentes de Thierry MILLION d’Altares sur le mois de juin vont également dans ce sens, mais j’attends des chiffres précis pour mesurer l’ampleur de la progression des retards de paiement.

Si la situation des retards venait à se détériorer de manière significative à la rentrée, qu’est-ce que l’Etat et les Banques pourraient faire de plus ?

L’Etat n’a pas prévu d’aides supplémentaires pour les entreprises à part ce qui est prévu pour la sobriété énergétique. Les ménages seront aidés, les entreprises devront assumer ces coûts supplémentaires. La pratique des PGE est terminée. Il reste seulement le PGE résilience qui sera réactivé après le vote de la loi de finance rectificative et les prêts bonifiés de BPI. Le système d’assistance forte qu’ont connu les entreprises lors du COVID est débranché.

Et le mécanisme pour le renforcement des fonds propres ?

Cela n’a pas marché, parce que le dispositif a été déployé trop tôt dans la phase de sortie de crise et aussi car il y avait un différentiel de taux trop important. Peut-être les choses pourraient bouger maintenant. Ce qui est certain, c’est que le temps des aides massives aux entreprises est terminé. D’où mes craintes sur la dégradation des délais de paiement avec la progression des retards de paiement. Si la situation se contractait fortement, les entreprises pourraient à nouveau se tourner vers les solutions de financement habituelles. L’augmentation des taux ne doit pas être perçue comme un obstacle. Le problème auquel il faut prêter attention c’est davantage le volume des financements qui seront nécessaires et ceux qui seront accordés.

Du côté de l’assurance-crédit qu’est-ce que vous observez ?

Le niveau des engagements des assureurs-crédit est aujourd’hui plus élevé qu’avant la crise COVID. L’affacturage de son côté a repris des couleurs et devrait à nouveau être intéressant avec l’augmentation des taux de financement. Pour l’instant, nous n’avons pas de remontées négatives dans ce domaine à fin Juin 2022.

Au sujet de l’obligation de publier les comptes et des options possibles pour les entreprises, est-ce que ce n’est pas pénalisant pour la transparence et la prévention des risques ?

Je crois que c’est une mesure de simplification administrative mais parfois simplifier peut aussi avoir des conséquences négatives, notamment quand on restreint la transparence !

Peut-être faudrait-il retoucher la Loi avec les démarches RSE au nom de la transparence ! Peut-on parler du remboursement des PGE ?

On avait estimé avant la guerre en Ukraine un risque de perte brute pour l’État lié au remboursement des PGE à 3,1%. C’est ce chiffre qu’on va revoir prochainement. Le taux des prêts non performants sur les PGE dans les banques s’élève à plus de 5%. Pour qu’un prêt soit déclaré en défaut de remboursement dans la banque il faut l’un des 3 critères :

  • Un impayé de plus de 90 jours
  • Une restructuration qui modifie le contrat initial
  • L’appréciation du banquier sur la capacité de remboursement du débiteur

Lorsque certains incitent les entreprises à ne pas restructurer leur PGE, c’est une erreur dès lors que l’entreprise connait des difficultés pour le rembourser. Il est préférable de restructurer car au moins l’entreprise, qui se trouve en défaut de remboursement, dispose d’une solution pour s’en sortir. Restructurer un PGE c’est faire le point sur tous les financements moyen terme de l’entreprise et aussi étudier les positions court terme. En refusant de restructurer le PGE quand on est en défaut on n’a pas beaucoup d’issues possibles, alors qu’en le faisant, on se donne des possibilités nouvelles de s’en sortir. Cela n’empêche pas la position de défaut qui peut limiter temporairement la possibilité d’obtenir des financements nouveaux.

La Cour des Comptes rappelait qu’existait lors de la signature du PGE l’engagement de l’entreprise à respecter les délais de paiement. Qu’en est-il ? Ne faudrait-il pas rappeler cette obligation ?

Ce n’était qu’une case à cocher dans le formulaire de souscription !  C’est pourquoi la DGCCRF a contrôlé 230 entreprises qui avaient obtenues des PGE. Le problème de cet engagement c’est que rien n’a été prévu si l’entreprise ne le respecte pas. On en revient aux outils : quels sont les outils à notre disposition pour faire respecter les délais de paiement et lutter contre les retards de paiement ? Les sanctions financières ? : 2 millions d’euros c’est nettement insuffisant pour des grandes entreprises ! Le rapport des CAC ? : sans doute faudrait-il renforcer leur rôle ou revoir les modalités de leur intervention ! La cotation BDF ? : une dégradation d’un cran pour retards de paiement, c’est un début pour marquer l’entreprise et l’obliger à changer ses pratiques ! Le « Name and Shame » ? : il n’est pas assez stigmatisant car trop ponctuel !… Il est nécessaire de retravailler sur tous ces outils d’action qui sont nécessaires dans cette lutte. Ce pourrait être un rôle à développer pour l’Observatoire des délais de paiements en tant que force de propositions !