Selon les derniers chiffres de la Banque de France, les entreprises françaises font face à un mur de plus de 1.800 milliards d’euros de dette. Un montant propulsé par les prêts garantis par l’Etat. Le Haut conseil pour la stabilité financière a prolongé d’un an le plafond de tolérance d’exposition des banques aux grandes entreprises.

C’est un seuil inédit. Dans quelques mois, les entreprises françaises franchiront la barre des 2.000 milliards d’euros d’endettement, d’après les dernières statistiques de la Banque de France. A fin avril, leur encours de dette a quasi doublé depuis la crise financière de 2008 : plus de 1.800 milliards d’euros de prêts bancaires et obligataires gonflaient leur bilan, selon l’institution. Au rythme de croissance des octrois de prêts garantis par l’Etat (PGE) et des taux planchers historiques offerts par les banques pour faire face à la crise du Covid-19, le mur de la dette des sociétés françaises va ainsi entrer dans une zone à risque.

Rien qu’en avril, les entreprises françaises sont allées chercher quelque 163 nouveaux milliards d’euros de crédit, un montant sans précédent sur les seize dernières années. Sur ce total, les banques en ont octroyé 96 milliards, un volume équivalent au printemps de l’année 2008, avant que n’éclate la crise avec la chute de Lehman Brothers à l’automne.

Pas d’équivalent en Europe

L’endettement a été propulsé par les prêts sans marge octroyés par les banques avec une garantie de 70 % à 90% de l’Etat : à lui seul, Air France a obtenu 4 milliards d’euros de prêts. Depuis son introduction fin mars, 469.000 entreprises ont décroché un prêt garanti pour 88 milliards d’euros. Des montants qui n’ont pas d’équivalent en Europe .

A fin avril, le rythme de croissance des encours d’endettement des entreprises approchait les 10 %. La dynamique n’a fait que s’accélérer depuis le début de l’année, passant de 5,7 % de hausse des encours en janvier, à 5,8 % en février, puis 7,1% en mars et 9,9 % en avril, constate la Banque de France. La vérité sur les difficultés des entreprises ne pourrait en outre se révéler qu’à la rentrée, avec de nouveaux besoins en quasi fonds propres pour renforcer les bilans .

Des taux bancaires planchers

Cet emballement s’alimente de taux de crédit bancaires inédits depuis 2003, à 1 % en moyenne en avril. Avec les financements de marché, dont les taux s’élèvent à 1,58 %, le coût moyen ne dépasse pas 1,22 %. Ce taux, largement dû à la politique monétaire de la Banque centrale européenne, est certes un peu plus élevé que le plancher historique de janvier, mais il reste dans les plus faibles enregistrés jusqu’ici dans le pays.

Cette accélération a de quoi placer en état d’alerte les autorités. A fin 2018, selon le Fonds monétaire international, les entreprises françaises figuraient dans le club restreint des plus endettées dans le monde, en pourcentage du PIB : plus de 140 % contre 74,45 % aux Etats-Unis. Un niveau loin de l’Irlande (191%) mais pas si éloigné des plus hauts de la Belgique, des Pays-Bas ou de la Chine (153,6%).

En 2018, le Haut conseil de stabilité financière (HCSF) avait décidé déjà de limiter à 5 % de leurs fonds propres les expositions des banques aux grandes entreprises françaises les plus endettées. « L’endettement brut des sociétés non financières rapporté au produit intérieur brut (PIB) est en hausse presque continue depuis 2005, ce qui contraste avec l’évolution observée dans les principales économies de la zone euro », justifiait alors l’organisme chargé de veiller à la stabilité financière en France.

Vigilance du Haut conseil pour la stabilité financière

Le Haut conseil expliquait alors vouloir préserver la résilience des banques « face à un risque de défaut des entreprises les plus endettées », « renforcer la discipline de marché » devant les risques croissant liés à « une dynamique excessive de l’endettement de ces grandes entreprises notamment au regard de la perspective d’une remontée des taux », et enfin « inciter ces mêmes entreprises à maîtriser leur endettement ».

Depuis, le poids de la dette des entreprises s’est encore alourdi et la vigilance de l’institution ne s’est pas relâchée. Le Haut conseil vient de décider de renouveler ce plafond de 5 % pour un an supplémentaire, jusqu’en juin 2021, au-delà des 24 mois prévus initialement. Une décision que l’Autorité bancaire européenne a approuvé fin mai.

Source : Les Échos – Anne Drif