La crise sanitaire due au coronavirus devrait ramener la croissance mondiale à 2,4 % cette année, estime l’économiste en chef de l’OCDE. Si le virus s’étend beaucoup plus en Asie et dans l’hémisphère nord, la hausse du PIB ne serait plus que de 1,5 %. Avec un risque de récession aux Etats-Unis, au Japon et dans la zone euro.

La crise du coronavirus intervient au moment où la croissance mondiale donnait déjà des signes d’essoufflement. A ce stade, quel en sera son impact sur la conjoncture internationale ?

Il est vrai que cette crise se rajoute au ralentissement observé depuis 2018 du côté du secteur manufacturier et, plus récemment, de la consommation et du marché de l’emploi . En novembre dernier, nous prévoyions que la croissance mondiale se stabiliserait autour de 3 %. En raison de cette épidémie qui évolue de jour en jour, nous avons élaboré deux scénarios. Le premier prend pour hypothèse que l’épidémie reste contenue à ce qu’elle est aujourd’hui. Le second envisage une extension comparable à celle que nous avons observée en Chine pour l’Asie-Pacifique et l’hémisphère nord. Et ce n’est pas le pire scénario puisque l’hémisphère sud pourrait être également touché.

Dans le premier cas, la croissance mondiale ne serait plus que de 2,4 %. La reprise s’étalerait progressivement, sur les deuxième et troisième trimestres de cette année, le temps de remettre les machines en marche. Nous ne retrouverions le niveau de PIB observé en novembre dernier qu’à la fin de 2021. Dans le second scénario, le PIB mondial pourrait être réduit de 1,5 % en 2020, trois fois plus que dans notre scénario de base.
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Coronavirus : les inquiétudes pour l’économie grandissent en Europe
Les marchés financiers ont été sévèrement secoués, la semaine dernière. Avec vous pris en compte leur impact potentiel dans vos calculs ?

Non. Le repli des marchés ne s’est opéré que ces derniers jours. Il n’en demeure pas moins que c’est un risque financier qui se rajoute dans un contexte de gonflement des dettes de moindre qualité. Nous avons déjà alerté sur cette tendance. La faiblesse des marchés boursiers reflète une perte de confiance qui nous inquiète.

Les banques centrales et les ministres des Finances peuvent-ils conjurer cette crise ou en atténuer les effets. Et comment ?

De notre point de vue, nous avons répertorié quatre domaines d’intervention possible. Ils concernent la santé, les personnes, les entreprises et la politique macroéconomique.
Dans le secteur de la santé, il nous paraît important de s’assurer que le personnel hospitalier travaille dans de bonnes conditions et soit correctement rémunéré. Il importe aussi, comme la FDA aux Etats-Unis, d’élargir la production de tests et la recherche de médicaments. Il faut promouvoir les bons comportements.

Pour les personnes, en particulier les salariés, il faut encourager toutes les formes de travail aux heures réduites comme l’avait fait l’Allemagne lors de la crise financière. Les salariés peuvent travailler moins et être payé autant grâce, notamment, à des aides de l’Etat, directes ou indirectes. Cela peut prendre la forme de baisse de cotisations sociales pendant une période difficile.

Pour les travailleurs indépendants, il peut être envisagé des transferts de cash. Pour soutenir les entreprises et empêcher des faillites liées aux mesures de confinement, le report du paiement des charges fixes, comme les impôts, est possible. Le paiement de la TVA peut être suspendu pour les entreprises affectées par les mesures de confinement. Comme au Japon, des prêts d’urgence ou des garanties de dettes pour les entreprises du tourisme peuvent être entrepris. On peut aussi demander aux banques d’étaler le paiement des intérêts et le remboursement du capital de leurs clients.

Et sur le plan macroéconomique ?

Les banques centrales peuvent envoyer un signal en indiquant qu’elles sont prêtes à faire plus sur leur politique accommodante. Cela pourrait permettre de calmer l’inquiétude des marchés financiers. Les banquiers centraux peuvent aussi assurer la liquidité du système bancaire, par exemple, en réduisant les réserves obligatoires. Il est vital de ne pas ajouter une crise financière à une crise de santé.

Faut-il mettre en oeuvre une vaste relance budgétaire ?

Il faut surtout soutenir les secteurs pénalisés et laisser jouer les stabilisateurs automatiques. Il y aura une baisse de la collecte d’impôts et une augmentation des dépenses publiques due à cette crise du coronavirus. Il ne faut pas coller strictement aux règles budgétaires du moment. A ce jour, les aides aux personnes et aux entreprises doivent primer. Et il faut accepter une détérioration des finances publiques pour soutenir les secteurs en difficulté.

Croissance affaiblie, commerce en repli, risque de guerre commerciale, doit-on redouter une récession mondiale ?

Dans notre second scénario où le coronavirus s’étend à la zone Asie-Pacifique et à l’hémisphère nord, le Japon, la zone euro et les Etats-Unis risquent de connaître une récession ou une croissance très faible. Il me semble important que les Etats du G20, de l’Union européenne, envoient un message conjoint qu’ils se préparent activement à réagir ensemble. Ce serait un signal de confiance dans un monde ou la coopération internationale est nécessaire et a été chahutée.

Pour l’heure, c’est la Chine qui paye le plus lourd tribut à cette crise…

Nous avons revu de 5,7 % à 4,9 % la croissance pour cette année. Le pays a connu une chute de production d’ ampleur similaire à celle de la crise de 2008 . Il va se poser la question de la reprise de la production et le risque d’un redémarrage de l’épidémie si cela se passe trop tôt. Tout risque n’est pas encore écarté en Chine.

Cette crise est-elle de nature à remodeler la mondialisation des échanges ?

Cette crise s’insère dans un contexte de tensions commerciales et d’une réforme de la fiscalité internationale qui modifient le paysage mondial. A cela s’ajoutent les tensions observées sur les chaînes de valeurs internationales . Les entreprises travaillent en flux tendus. Il me semble évident que les entreprises vont se pencher sur le modèle organisationnel de leur production. Sans oublier le risque climatique qui va aussi dans ce sens.

Source : Les Échos – Richard Hiault