Dans son état des lieux des marchés financiers, la Banque des règlements internationaux (BRI) s’inquiète des valorisations excessives des marchés et des conditions de crédit trop souples. L’ensemble de la dette, privée et publique, est maintenant “considérablement plus élevée qu’avant la crise” et les prêts à risque sont en plein essor.

 

La Banque des règlements internationaux (BRI) tire à sa manière la sonnette d’alarme. Cette institution internationale, qui se décrit comme « la banque des banques centrales », dresse un état des lieux passablement préoccupant des marchés financiers et bancaires. Dans son rapport trimestriel publié ce dimanche 23 septembre, la BRI s’inquiète de plusieurs phénomènes, en particulier des évolutions très divergentes des marchés, entre les émergents qui ont fortement pâti de la vigueur du dollar et les marchés américains qui volent de record en record.

Aux yeux de Claudio Borio, le chef du département monétaire et économique de la BRI, de nouvelles turbulences risquent de se produire « probablement à un moment donné car les marchés des économies avancées affichent des valorisations excessives, les conditions financières sont trop souples et la dette, à l’échelle mondiale, est trop élevée » indique l’institution de Bâle.

« Les taux d’intérêt demeurant inhabituellement faibles et les bilans des banques, enflés comme jamais, il reste peu de traitements à disposition pour aider le patient à se rétablir, ou le soigner s’il rechute », met en garde Claudio Borio.

 

Le spectre de la crise des subprimes

En présentant son rapport, l’économiste a souligné qu’aux Etats-Unis, « le marché des prêts à effet de levier a été brûlant. Les volumes ont été élevés, les banques s’étant déchargées de leurs prêts auprès d’une base d’investisseurs très demandeurs. Certains […] via des Collateralised Loan Obligations [CLO, produits dérivés de crédits issus de la titrisation d’un portefeuille de prêts commerciaux de même niveau de risque, ndlr], proches cousins des tristement célèbres titres de créance adossés à des prêts hypothécaires (CDO) de la crise financière mondiale », provoquée par l’effondrement du marché des subprimes (prêts immobiliers à risque) en 2007-2008.

Dix ans après la chute de Lehman Brothers, ce « bond du financement bancaire à destination des emprunteurs très endettés » (ou en catégorie hautement spéculative) « peut créer des fragilités. »

Dans une étude détaillée sur le marché des financements à effet de levier, un autre économiste de la BRI, Tirupam Goel, souligne que l’ensemble de la dette à effet de levier (y compris les obligations “high yield”, à haut rendement) à haut rendement) a « doublé en taille depuis la crise financière mondiale ». Il excède désormais 2.600 milliards de dollars, dont l’essentiel aux Etats-Unis. Pour la première fois depuis une décennie, les prêts à effet de levier ont dépassé celui des obligations “high yield” et le cap des 1.000 milliards de dollars depuis fin avril.

1.Graphique de gauche : en jaune, les prêts à effet de levier aux États-Unis, en rose les obligations high yield aux États-Unis, en violet les prêts à effet de levier en Europe, en bleu clair les obligations high yield en Europe. 2.Graphique du milieu : la part des prêts aux clauses allégées (cov lite) augmente, montrant le rapport de force en faveur des emprunteurs. 3.Graphique de droite : les Collateralised Loan Obligations en plein essor surtout aux États-Unis. Crédits : BRI]

 

Attention à la rechute

Malgré ces « développements inquiétants », ce sont les marchés émergents qui ont connu de fortes turbulences, touchés par le raffermissement du dollar, l’escalade des tensions commerciales et les signes de ralentissement de la croissance chinoise. Les effets de contagion sont restés limités. La zone euro a subi quelques secousses, en partie du fait de la chute de la livre turque, à la périphérie, et des incertitudes en Italie.

Le chef du département monétaire et économique de la BRI estime que les vulnérabilités qui apparaissent aujourd’hui sont « des symptômes d’un malaise plus général » et reflètent « le rétablissement hautement déséquilibré » intervenu après la crise, à coups de politique monétaire ultra-accommodante.

« Le puissant médicament des taux inhabituellement bas de façon persistante a servi à dynamiser l’activité économique mais des effets secondaires sont inévitables » a pointé Claudio Borio, faisant le parallèle entre les sursauts des marchés et les réactions d’un patient au sevrage.

Quelle sera la gravité de ces effets collatéraux ? « Le patient continuera-t-il de guérir ou y aura-t-il une rechute ? » s’interroge l’économiste, convaincu que le rétablissement complet ne sera pas calme et tranquille.

« Sur le plan financier, les choses semblent plutôt fragiles. Les marchés des économies avancées sont encore survalorisés et les conditions financières encore trop faciles. Surtout, il y a trop de dettes : par rapport au PIB, dans le monde, l’ensemble de la dette (privée et publique) est maintenant considérablement plus élevée qu’avant la crise » martèle-t-il.

Article rédigé par Delphine Cuny

LA TRIBUNE