Après avoir été vilipendée au moment de la crise des « subprimes », voici que la titrisation des crédits revient en grâce, portée notamment par un curieux consensus au niveau des institutions européennes. On la justifie par la nécessité de compléter la capacité de financement de systèmes bancaires que l’on estime fragilisée et contrainte par les nouveaux dispositifs réglementaires. Plus généralement, cette réhabilitation s’inscrit dans le projet, exprimé depuis longtemps par la BCE, de promouvoir un système financier européen plus désintermédié, à l’anglo-saxonne.

Cette volonté d’élargir la place des marchés dans le financement des économies mériterait d’être enfin sérieusement analysée et débattue. Mais pour s’en tenir à la seule titrisation, commençons par observer que son marché est aujourd’hui presque inexistant. En Europe le montant des émissions a représenté en 2014 à peine le quart de celui observé en 2008. De plus, à partir de 2008, environ les deux tiers de ces montants ont été conservés par les banques émettrices afin de servir comme instruments de refinancement auprès de la Banque centrale. Le rachat de ce type d’actifs par la BCE dans le cadre de son assouplissement quantitatif va prolonger et amplifier le phénomène. Ce qui ne fera que retarder la reconstitution d’un véritable marché.

Or, le désintérêt pour la titrisation n’est pas principalement dû aux traces laissées par la mésaventure des « subprimes ». Pour l’essentiel c’est l’intérêt économique de ces opérations qui est en cause. Car pour les banques saines, il est aujourd’hui moins cher d’émettre de la dette non sécurisée (a fortiori des « covered bonds »), pour financer des crédits que d’avoir recours à leur titrisation. Même en tenant compte du coût de la réglementation, cette solution est difficilement rentable. Au demeurant on ne voit pas bien comment vendre des crédits accordés à des taux de 2 à 3 % à des investisseurs qui en attendent un rendement sensiblement plus élevé. On peut certes mobiliser des crédits à plus forte marge, mais on s’écarte alors de l’idée d’une titrisation « haut de gamme », assortie d’un label européen, dont certains rêvent pour redorer l’image de ces opérations. Ou bien faudra-t-il amener les banques à accroître les taux des crédits, comme cela a déjà été suggéré, pour que ceux-ci deviennent titrisables ? On friserait alors l’inconséquence.

La viabilité économique de la titrisation n’est donc pas évidente, sauf pour les banques de marché, qui y ont trouvé une activité potentiellement profitable. Mais d’un point de vue plus global, prenant en compte les aspects prudentiels, sa relance est-elle néanmoins souhaitable ? On peut aussi en douter, au regard des risques qu’elle fait peser sur la stabilité du système. Avant tout parce que la titrisation passe par les arcanes du fameux « shadow banking », dont c’est là une des principales fonctions.

Il est vrai que ce terme de « shadow banking » est toujours aussi mal défini et qu’il englobe des entités très diverses et inégalement dangereuses. Il est vrai, aussi, que des dispositions ont été prises, ou vont l’être, pour corriger les fragilités les plus cruciales dans la chaîne de titrisation : on a notamment réduit les conflits d’intérêts entre les acteurs de cette chaîne, amélioré la mesure des risques des actifs, incité les investisseurs à de meilleurs contrôles… Il n’empêche que l’appréciation des risques des produits issus de la titrisation reste problématique, et que nombre des composantes du « shadow banking » sont insuffisamment, voire pas du tout, régulées. La plupart d’entre elles réalisent des transformations de maturité et de liquidité qui les exposent à de possibles paniques, analogues à celles que supportent les banques « officielles ». Mais celles-ci bénéficient d’assurances en contrepartie des réglementations auxquelles elles sont soumises.

De plus il existe entre les « institutions de l’ombre » des interconnexions aussi denses qu’opaques, qui sont porteuses de risque systémique. Et même si les relations avec le secteur bancaire régulé sont mieux sécurisées, le risque en question est susceptible de se propager à l’ensemble du système financier. D’ailleurs en Europe et spécialement en France, les banques universelles, en intériorisant ces connexions, renforcent le phénomène.

De sorte que personne ne peut, aujourd’hui, prétendre que les mécanismes déséquilibrants, qui ont déclenché et alimenté la crise d’hier, sont désormais neutralisés. De là à penser que le retour de la titrisation est une nouvelle histoire d’apprentis sorciers…

Source : Les Échos – Jean-Paul Pollin